Le texte qui suit est un extrait du livre « L’essentiel de l’actualité pour décider en 2017 – Décryptages à l’usage des dirigeants finance-gestion ». (Editions Eyrolles) Vous pouvez commander le livre ici.

Ce chapitre est le fruit d’une réflexion menée par la DFCG, en 2016, dans le cadre de son comité scientifique et associant des dirigeants finance-gestion et des économistes autour de la question « Qu’est-ce qu’un directeur financier doit savoir de la macro-économie pour prendre les bonnes décisisions ? »

L’atonie économique plonge les décideurs financiers dans la perplexité. Internet, le big data, l’ubérisation et l’automatisation remodèlent les marchés. Les taux bas, une inflation quasi nulle, l’absence de croissance les inquiètent. La destruction peut-elle redevenir créatrice ? Pouvons-nous sortir de la stagnation séculaire ? Il faut surveiller la croissance de la productivité macro-économique et l’inflation. Les stratégies d’allocation des ressources financières et d’optimisation de gestion en dépendront, ainsi que la sortie de la crise. Inducteur de croissance pour l’un et reflet de la demande pour l’autre, ces deux indicateurs conditionnent l’investissement, le pilotage des coûts et des risques.

Michel Serres en avait eu la prescience.

Le dieu Mercure illustre la problématique économique contemporaine. L’échange d’informations est étroitement lié à celui des biens et des services. Dieu messager, Mercure est le dieu du commerce (son nom a donné le mot marchand) et de l’information. Il incarne, en ce sens, l’échange, la confrontation et l’interprétation. Mais il n’est pas que cela. Il est aussi le dieu des carrefours. Les carrefours sont, par excellence, les lieux de convergence et les lieux de choix. La situation économique actuelle est une conjonction de facteurs technologiques, financiers, économiques et politiques. L’équilibre instable, qui en découle, incite les décideurs à regarder l’avenir. Trois voies s’offrent à eux. Ils devront choisir.

À la croisée de différents facteurs, une stagnation dont on craint qu’elle soit séculaire

Un nouveau mode de production émerge. Le rythme du changement est celui que permettent les nouvelles technologies de l’information.
Les innovations sont fulgurantes. De nouveaux produits high tech sont offerts aux consommateurs, eux-mêmes rapidement remplacés par d’autres plus puissants et plus rapides. Cette course compense la faiblesse de la demande. L’automatisation touche tous les secteurs (y compris celui du financement). La concurrence est mondiale. L’ubérisation permet à tout individu de devenir l’acteur d’une offre qu’un consommateur peut noter et évaluer. Les mutations issues des technologies de l’information ont un coût d’investissement inférieur à ceux des précédentes révolutions industrielles. En outre, la baisse des taux et les liquidités abondantes en facilitent le financement. Cette diminution des taux d’intérêt déborde de la problématique du financement. Élément clé de l’évaluation (via le taux d’actualisation), les conséquences sont directes sur les valeurs des actifs et des passifs (tels que la provision pour indemnités de fin de carrière [IFC]) et les décisions d’investissement. Tous ces facteurs s’équilibrent de manière instable et leurs corollaires se confrontent dans de nouveaux rapports de force. L’accélération du rythme de l’innovation implique mécaniquement un moindre délai pour rentabiliser les investissements de recherche et développement. Le monde du travail se crispe sous l’effet des gains de productivité, de l’ubérisation et de la stagnation des rémunérations. Les jeunes générations comprennent qu’« elles auront plus de clients que de patrons » et que la tendance est celle du déclin du salariat au profit de l’entrepreneuriat. La baisse des prix compense certes la modération salariale. Toutefois, les relations sociales se raidissent face à ces enjeux. Le vote contestataire croît avec la peur de déclassement et les tensions sociales. Les rentes (pour utiliser le mot de Ricardo) de l’innovateur et du salarié se fragilisent. La puissance publique, quant à elle, perd ses leviers d’action. Que cela soit en matière de politique monétaire, de taux ou budgétaire, ses marges de manoeuvre sont limitées. Les taux sont proches de zéro et la dette publique est considérable. L’espoir d’un retour à la croissance financée par l’inflation s’éloigne. Pire encore. Pour certains, le spectre de la déflation est proche.

Pourtant, si l’on fait fi de l’approche de Gordon, la stagnation n’est pas hermétiquement séculaire.

Scruter l’inflation et la croissance de la productivité

Le décideur financier investit, s’il croit dans le futur. Il croit dans le futur, s’il a des perspectives de croissance. Deux éléments peuvent se conjuguer pour lui donner cette espérance, la croissance démographique, d’une part, et la croissance de la productivité macro-économique, d’autre part.
« La productivité n’est pas tout, mais à long terme c’est presque tout », disait Paul Krugman. La productivité macro-économique est le rapport de la production sur le facteur travail (déterminé par le nombre d’heures travaillées). C’est une mesure de la capacité de l’économie à croître dans la durée. Elle s’explique à son tour par l’accumulation de capital physique (l’investissement), humain (l’éducation) et le progrès technique (la R&D). La croissance de la productivité est moins sensible à la croissance démographique que la croissance du PIB elle-même. En d’autres termes, nos pays occidentaux sont vieillissants et ont une moindre natalité. Cela a des conséquences négatives sur la croissance. Toutefois, la croissance de la productivité est, quant à elle, un levier positif. Pour un économiste, l’inflation est un indicateur de la pression de la demande. À côté des fluctuations de prix induites par les innovations technologiques, la concurrence, la mondialisation, le cycle des matières premières, il faut suivre l’inflation provenant de l’excès de demande et qui est suivie par les banques centrales.

Il y a trois voies possibles. Premièrement, si l’on observe une croissance de la productivité sans redémarrage de l’inflation, cela signifiera la diffusion progressive de l’innovation à tout le tissu économique. La destruction (issue de l’innovation qui a profité au seul innovateur, dans un premier temps, comme le souligne Schumpeter) redevient créatrice.
Cette évolution vers une déflation (que l’on qualifiera d’heureuse) est favorable à la prise de risques, à l’investissement, donc aux marchés financiers.

Deuxièmement, si l’on devait observer un redémarrage de l’inflation sans croissance de la productivité, cela signifierait que la politique budgétaire et monétaire maintient la demande artificiellement haute. Cela permettrait de reporter les nécessaires réformes, mais au prix de bulles spéculatives. Ce scénario serait celui d’un déclin dans la joie, synonyme de turbulences dans les marchés financiers.

Enfin, la conjonction de la croissance, de la productivité et de l’inflation serait le signe d’un retour à la santé économique. La demande et la diffusion de l’innovation seraient au rendez-vous. Les marchés financiers et tous les acteurs économiques retrouveraient la félicité.

Le double attelage : l’optimisation de gestion et l’allocation des ressources

Le décideur financier optimise la performance économique de l’entreprise et alloue les actifs en visant la rentabilité maximale. Le basculement vers un des trois axes décrits précédemment le conduira à des choix stratégiques différents.

Actuellement, l’absence d’inflation et de croissance de la productivité incite à la prudence en matière d’investissement et à la réduction des coûts. L’horizon est à court terme. L’agilité, la variabilisation des coûts et le cost killing sont recherchés en priorité.

Le redémarrage de la productivité redonnerait de la profondeur stratégique. L’investissement à des fins de développement retrouverait un intérêt. La recherche d’opportunités et le pilotage de la croissance redeviendraient des priorités.

Le redémarrage de l’inflation sans celui de la productivité engendrerait l’apparition de bulles spéculatives. La gestion des risques, leur anticipation et leur couverture deviendraient essentielles dans ce cas de figure.

Les conclusions du groupe macro-économie et gestion de l’Association nationale des directeurs financiers et de contrôle de gestion (DFCG) ont été présentées lors du Trophée finance et gestion Île-de-France 2016. Celles-ci sont reprises dans cette partie. Ce groupe, créé et animé par Sophie Macieira Coelho et Christophe Bouat, a regroupé Valérie Boschetto, Jean-Marc Daniel, Gustavo Horenstein et François Meunier. Ces économistes et ces décideurs financiers ont réfléchi sur la situation économique actuelle, son évolution possible et les conséquences éventuelles pour nos entreprises. À l’image de Mercure, l’économie présente de multiples facettes. Les économistes et les financiers ne l’observent pas d’un même point de vue. Les premiers l’interprètent de l’extérieur, globalement et dans la durée. Les seconds la voient de l’intérieur, dans le présent, dans l’action et dans l’échange.