Ce blog s’est fait à plusieurs reprises porteur de l’idée que notre système de fiscalité des entreprises favorise excessivement le financement par dette, ce qui accroît la fragilité financière et pénalise les petites entreprises. Voir par exemple Débat sur l’imposition des frais financiers. C’est aussi la position exprimée par la DFCG lors des Etats Généraux de l’Industrie (voir Contribution de la DFCG aux Etats généraux de l’Industrie). La distorsion vient simplement du fait que le coût du financement par dette (les intérêts) est déductible de l’impôt sur les sociétés (IS), alors que le coût du financement par fonds propres ne l’est pas. Les règles d’impôt sur les personnes physiques ne corrigent que très partiellement cette distorsion.

L’idée fait son chemin dans les cercles les mieux informés, mais pas encore dans le débat politique et économique français. Le FMI par exemple rend publique une étude soulignant les dangers d’une fiscalité à l’avantage exclusif de l’endettement1. C’est la position prise par l’Advisory Panel on Federal Tax commandité par le Congrès américain en 2005. Le respectable Financial Times s’en fait aussi l’avocat : « It is time to stop punishing prudence », John Plender, dans son numéro du 25 mars 2010.

Le FMI préconise une réintroduction des intérêts dans la base fiscale de l’IS, ou, dit autrement, une taxation, bien sûr à taux plus bas, du résultat d’exploitation ou EBIT. Ceci, par opposition à une autre façon de corriger la distorsion, consistant à imputer un coût notionnel du financement par fonds propres dans la base fiscale (solution que retiennent par exemple la Belgique, la Croatie et le Brésil).

Les Allemands vont déjà dans ce sens, depuis leur réforme fiscale de 2008, en limitant le montant des frais financiers déductibles, c’est-à-dire en imposant un levier financier dans le bilan des entreprises au-delà duquel la déductibilité ne joue plus. Mais ceci pousse les directeurs financiers à une ingénierie financière souvent malsaine et à l’arbitrage fiscal intra-européen. Comme nous sommes en Europe, les mesures prises au hasard ne font qu’actionner la concurrence par le bas. Il faut donc une mesure à la fois simple et commune à l’Europe : la taxation à taux modéré au niveau du résultat net d’exploitation, montrant par là que la source de financement de l’entreprise n’a pas à avoir d’influence sur sa base fiscale.

Il y a des difficultés techniques à faire cette réforme, par exemple pour prendre en compte la dette existante (et souscrite sur base de la déductibilité) ou bien du côté des banques, dont le revenu est la marge d’intérêt. Mais elles sont surmontables.

On aurait tort de penser que cette distorsion est négligeable, particulièrement en France. Le FMI fait les calculs pour les grands pays du G7. Pour un investisseur non fiscalisé (par exemple une entreprise qui en détient une autre), et en prenant par référence un taux d’intérêt de la dette de 5%, il faut que l’entreprise sorte un rendement après impôt supérieur de 1,66% pour qu’il lui soit indifférent de financer par fonds propres ou par dette2. Et ceci sans tenir compte du risque, évidemment plus fort pour un financement par fonds propres et qui accroît, cette fois légitimement, le coût des fonds propres. Pour un investisseur fiscalisé à la tranche supérieure de l’IR, la distorsion reste la même si son revenu est perçu sous forme de dividende (l’avoir fiscal ayant été supprimé) et reste quand même de 0,47% si ce revenu est réinvesti dans l’entreprise sous forme d’autofinancement. On voudrait décourager l’investissement par fonds propres qu’on ne s’y prendrait pas autrement. Comme ce sont les PME qui ont le plus difficilement accès à la dette, ce sont elles qui subissent, relativement aux grandes entreprises, la distorsion. On se plaindra après que nos PME manquent de fonds propres et ont un potentiel de croissance limitée !

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1. Voir Debt Bias and Other Distorsions : Crisis-Related Issues.
2. A la louche, c’est 35% (le taux d’IS) divisé par deux et fois le taux d’intérêt.