De tout temps, la richesse s’est exprimée, entre autres, en nombre de bras, que ce soit pour la construction des pyramides, pour la production agricole, ou pour la domesticité… Jean Bodin1 écrivait en 1576 : « il ne faut jamais craindre qu’il y ait trop de sujets, trop de citoyens : vu qu’il n’y a richesse, ni force que d’hommes. » Resituée dans son contexte, cette citation nous décrit une France du XVIe siècle, dont la richesse était concentrée sur l’exploitation de la terre. Pour assurer la pérennité de leurs propres richesses, les propriétaires de terres se devaient de garantir, à leur tour, une sorte de « minimum social ».

Avec la révolution industrielle qui vit l’avènement du capitalisme entrepreneurial et industriel, et les débuts du capitalisme financier, vint le paternalisme et son cortège de mesures sociales (logements, dispensaires de santé, scolarisation…) ; il ne s’agissait pas, à proprement parler, de performance sociale, mais d’actions destinées à servir le capitaine d’industrie (« un ouvrier en bonne santé travaille mieux et plus longtemps »).

La période d’après guerre, quant à elle, vit, en Occident, le développement d’une économie internationalisée « heureuse », et de grandes avancées sociales (plein emploi, retraites, sécurité sociale, meilleure reconnaissance du travail…) que nous pensions solides et durables. Exit l’entreprise façon Zola : la santé au travail et le bien-être social dans l’entreprise commencent à être pris en compte.

Mais ces dernières années, les excès de la mondialisation ont aussi produit leurs effets pervers. La brutalité des marchés, la concurrence acharnée, la course à la compétitivité, les dérives financières des banques et maintenant les déficits des États ont progressivement éclipsé le bien-être social au profit de la performance financière à court terme. Dès lors, comment réconcilier performance financière durable et performance sociale ?

Recréer un équilibre bénéfique à tous nécessite de repenser le lien entre le « social » et le « financier ». Naturellement, une bonne performance dans la gestion du volet social d’une entreprise constitue un indicateur déterminant de la qualité du management. Mais c’est loin d’être suffisant. D’autant que l’horizon temporel s’avère l’un des paramètres les plus complexes à gérer : alors que la profitabilité est aujourd’hui orientée plutôt court terme, la qualité du lien social se construit, elle, sur le long terme.

Des indicateurs sociaux simples – taux d’absentéisme, rotation du personnel, formation, égalité professionnelle – sont nécessaires, mais insuffisants pour rapprocher ces deux horizons.

Les directions financières doivent créer de nouveaux indicateurs de performance sociale, en collaboration avec les autres acteurs de l’entreprise. Ces indicateurs doivent être partie intégrante de la performance financière et être directement corrélés à celle-ci.

La qualité du lien social, garante de la performance sociale, contribue à créer directement de la richesse (par exemple, la formation, facteur de développement de la diversité des compétences d’un individu et facteur de création de richesse pour l’entreprise, doit être considérée comme un investissement à long terme).

Certains pays intègrent des indicateurs de bonheur dans la création de richesse : ainsi un salarié heureux dans l’entreprise s’y montrera plus créatif et plus investi.

De même, la qualité des échanges d’informations est facteur de créativité, d’adhésion à des solutions globales. La « transversalité » du salarié, la diversité des compétences et la reconnaissance de son travail sont participent à son épanouissement et entraînent directement une meilleure performance économique et financière.

Il n’y aura pas de performance financière durable sans performance sociale, parce qu’on ne pourra pas construire des référentiels homogènes nouveaux avec des marqueurs financiers traditionnels ou anciens. Tout le monde va devoir participer à la réflexion.

Ainsi, un groupe de travail mené par deux étudiantes du Master de contrôle de gestion de Paris-Dauphine fait-il ressortir cinq axes fondateurs du lien social, permettant d’évaluer un niveau d’atteinte de performance sociale : une vision stratégique partagée par le management avec l’ensemble des parties prenantes de l’entreprise, un climat social de qualité, une formation qui valorise connaissances, compétences et savoir-faire, la transversalité au sein de l’entreprise, et l’utilisation des nouvelles technologies.

La clé du succès global, demain, sera donc bel et bien  la prise de conscience de chacun de la nécessité de replacer l’intérêt général au centre du pilotage de l’entreprise.

1. Jurisconsulte, philosophe et théoricien politique français.
 
Contribution originale de la DFCG pour Option Finance (décembre 2011).