Nous avons dans un texte récent moqué la possibilité pour les entreprises dont les propres dettes étaient dépréciées de créer, grâce aux IFRS, de la valeur… comptable.

L’application des normes IFRS pour la comptabilisation d’ORNANE1 (obligations à option de remboursement en numéraire et/ou en actions nouvelles et/ou existantes) par des émetteurs de cet outil de financement est un bel exemple d’une mauvaise appréhension par les normes ou ceux qui les interprètent de la valeur d’un produit financier, certes un peu sophistiqué. L’impact qui découle de ce mode de comptabilisation aurait dû interpeler les comptables au regard des conséquences de cette pratique : la baisse du cours de l’action de la société émettrice se traduit par une hausse de ses fonds propres (!) via la génération de résultat financier ; inversement en cas de hausse de cours. Plus je vaux pas cher plus mes fonds propres comptables sont élevés et inversement. Jacques Rouxel, le créateur des Shadoks ne s’attendait certainement pas à inspirer un jour des normalisateurs comptables.

Face à une telle pratique, deux réactions possibles :

Essayer de comprendre comment l’ORNANE pourrait être susceptible de créer de la richesse pour l’entreprise lorsque le cours de son action baisse et d’en détruire lorsque le cours de l’action monte. Un tel produit pourrait exister, mais est-ce le cas de l’ORNANE ?

Ou chercher l’erreur…

L’ORNANE est une obligation convertible (équivalent d’une OCEANE), c’est-à-dire une obligation à laquelle est attachée une option de conversion qui donne à l’investisseur la possibilité de se voir remettre des actions en remboursement du principal. L’ORNANE se caractérise par une option supplémentaire, option de monétisation, dans les mains de l’émetteur : sous réserve de l’exercice par l’investisseur de son option de conversion, l’émetteur à la possibilité de substituer pour partie (à hauteur de la valeur nominale de l’obligation) du cash à la remise d’action.

Partons d’un exemple chiffré simple pour faciliter la compréhension :

Une société dont l’action cote 10 € émet des ORNANE de valeur nominale 15 €. Si l’action cote 12 € à la date de remboursement, le porteur de l’obligation sera remboursé en cash 15 € (sauf à ce que par un comportement non rationnel cet obligataire exerce son droit d’attribution d’action et alors, il serait remboursé, au choix de la société, à hauteur de 12€ en cash ou par la remise d’une action).

Si l’action cote 20 €, le porteur de l’obligation sera remboursé, au choix de la société, soit à hauteur de 15 € en cash et à hauteur de 5 en action (soit ¼ d’action cotant 20 €), soit par la remise d’une action.

 

A l’émission l’ORNANE est supposée être valorisée à son juste prix par le marché, prix qui correspond à la somme de la valeur actuelle des coupons et de la valeur de remboursement, laquelle intègre une composante optionnelle : une option d’achat sur l’action à un prix d’exercice égal au nominal de l’obligation. Les normes comptables imposent de comptabiliser la dette en deux parties, une partie en fonds propres correspondant à la composante optionnelle présentée ci-avant et le solde en dette. Cette comptabilisation de départ correspond à une logique simple : la composante optionnelle « vendue » aux investisseurs à l’émission est acquise à la société. Par contre comme c’est l’existence de cette composante optionnelle qui justifie un coupon minoré (toutes choses égales par ailleurs, un investisseur ne bénéficiant pas de l’option aurait demandé un coupon plus élevé, pour, à risque identique, obtenir un même rendement), les frais financiers intègreront outre le coupon effectivement payé, un amortissement de cette composante optionnelle. Le problème que posent les normes IFRS dans le cas précis de l’ORNANE (et pas de l’obligation convertible classique), c’est qu’elles imposent de réévaluer la composante optionnelle à chaque clôture d’exercice, comme si son évolution avait un impact sur la valeur de la société. Qu’un acheteur d’option soit effectivement sensible à l’évolution de la valeur de son actif en fonction de la valeur du sous-jacent est parfaitement logique (le porteur d’obligation convertible pourra effectivement subir une décote ou bénéficier de l’opportunité de générer une plus-value si le cours de l’action de l’émetteur baisse ou augmente), en revanche cet impact n’est pas symétrique pour le vendeur d’options, en l’occurrence ici l’émetteur.

La seule différence entre l’obligation convertible classique et l’ORNANE tient dans la possibilité pour l’émetteur de remettre pour partie du cash ; il est alors dans la position d’un acheteur d’options, celui qui détient le droit sans l’obligation. Cette option de monétisation, à la main de l’émetteur mais conditionnée à l’exercice de l’option de conversion par l’investisseur, n’a pratiquement pas de valeur2. L’essentiel de la valeur optionnelle est donc lié à l’option de conversion que détient l’investisseur.

Le régulateur fait une grosse erreur : croire en la symétrie entre l’acheteur et l’émetteur de cette option de conversion.

 

Pour comprendre cette erreur, il suffit de faire l’analogie avec une émission de bons de souscription d’action. L’évolution du cours de l’action pendant la durée de vie des BSA a un impact direct sur leur valeur, enjeu immédiat pour l’investisseur. En revanche la valeur de ces BSA, sauf pour certaines options très particulières, ne change rien pour l’émetteur qui détient définitivement le prix d’émission, qu’il y ait au final ou pas exercice des BSA et augmentation de capital3. Le marché a connaissance du potentiel dilutif de ces BSA, celui-ci est dans le cours. Si ce n’est pas le cas, c’est que les marchés ne sont pas efficients, et il n’est alors plus question en normes IFRS d’utiliser la valeur de marché comme référence.

Cette première erreur ne suffit pas à expliquer comment une hausse de la valeur de marché des actions entraine une baisse de la valeur comptable des fonds propres. Le régulateur fait une seconde erreur : si la valeur de marché des actions d’une société permet de déterminer la valeur de marché d’options sur cette société, elle traduit aussi la valeur des fonds propres de la société. Le normalisateur propose de faire la somme de fonds propres qui ne sont pas comptabilisés en valeur de marché et d’options dont la valeur est fonction au contraire de la valeur de marché des fonds propres. C’est ainsi qu’une hausse du cours de fonds propres qui entraine une hausse de la valeur des options se traduit par une hausse de ce qui est considéré (à tort) comme une dette qui diminue d’autant des fonds propres comptables dont la valeur de marché est ignorée. C’est ainsi qu’une hausse du cours de l’action se traduit par une baisse des fonds propres.

Il est étonnant qu’une telle conclusion ne fasse pas s’interroger le normalisateur sur l’outil qu’il a construit. Il est étonnant que l’autorité de marché, face à une information aussi trompeuse, ne réagisse pas.

 

1. Pour illustrer le propos, Unibail-Rodamco a émis en avril 2009 une ORNANE de 575M€. La hausse du cours de son action entre la date d’émission et la clôture de l’exercice 2009 l’avait contrainte, selon les normes IFRS, à enregistrer une charge financière de 188,9M€ sur le seul exercice 2009, minorant d’autant ses fonds propres. Plus récemment Assystem, qui a émis une ORNANE de 92 M€ en juillet 2011 a enregistré un produit financier de 6,7 M€ et donc une hausse du même montant de ses fonds propres sur l’exercice 2011 du fait de la baisse du cours de son action entre la date d’émission et le 31 décembre 2011. C’est du reste à l’issue de la réunion de présentation des comptes 2011 d’Assystem que j’ai considéré nécessaire de chercher à comprendre.

2. La possibilité de donner du cash au lieu de l’action sur la base d’une règle de substitution totalement fonction du cours de l’action n’a de valeur que l’économie de coût de dilution que représente une augmentation de capital : pour réussir une augmentation il est nécessaire d’offrir une décote par rapport au cours, décote qui n’existe pas dans le cas du remboursement de l’ORNANE pour lequel l’action est retenue pour sa valeur de marché.

3. Une société A émet des BSA pour un prix d’émission de 100€, une société B les souscrit. Comptablement, A augmente ses fonds propres de 100 et B inscrit à son actif 100. Si les BSA baissent, B devra provisionner et rien ne change pour A. Si à l’échéance il n’y pas d’exercice, B aura perdu 100, perte qui entrainera une baisse des fonds propres de 100 ; A disposera toujours 100 de fonds propres. Si les BSA montent, rien ne change pour B en comptabilité classique sauf s’il vend les BSA et extériorise une plus-value ; en IFRS, B extériorise une hausse de valeur de ses actifs et augmente ainsi ses fonds propres. En revanche rien ne change pour A. A l’échéance, il y a exercice de BSA, B devra apporter une somme complémentaire et aura des actions à un prix de revient 100+prix d’exercice et B aura 100+valeur de l’action en fonds propres. Il n’y a symétrie (en IFRS) qu’entre un acheteur et un vendeur d’options sur un émetteur tiers.

 

[1] Pour illustrer le propos, Unibail-Rodamco a émis en avril 2009 une ORNANE de 575M€. La hausse du cours de son action entre la date d’émission et la clôture de l’exercice 2009 l’avait contrainte, selon les normes IFRS, à enregistrer une charge financière de 188,9M€ sur le seul exercice 2009, minorant d’autant ses fonds propres. Plus récemment Assystem, qui a émis une ORNANE de 92 M€ en juillet 2011 a enregistré un produit financier de 6,7 M€ et donc une hausse du même montant de ses fonds propres sur l’exercice 2011 du fait de la baisse du cours de son action entre la date d’émission et le 31 décembre 2011. C’est du reste à l’issue de la réunion de présentation des comptes 2011 d’Assystem que j’ai considéré nécessaire de chercher à comprendre.

[1] La possibilité de donner du cash au lieu de l’action sur la base d’une règle de substitution totalement fonction du cours de l’action n’a de valeur que l’économie de coût de dilution que représente une augmentation de capital : pour réussir une augmentation il est nécessaire d’offrir une décote par rapport au cours, décote qui n’existe pas dans le cas du remboursement de l’ORNANE pour lequel l’action est retenue pour sa valeur de marché.

[1] Une société A émet des BSA pour un prix d’émission de 100€, une société B les souscrit. Comptablement, A augmente ses fonds propres de 100 et B inscrit à son actif 100. Si les BSA baissent, B devra provisionner et rien ne change pour A. Si à l’échéance il n’y pas d’exercice, B aura perdu 100, perte qui entrainera une baisse des fonds propres de 100 ; A disposera toujours 100 de fonds propres. Si les BSA montent, rien ne change pour B en comptabilité classique sauf s’il vend les BSA et extériorise une plus-value ; en IFRS, B extériorise une hausse de valeur de ses actifs et augmente ainsi ses fonds propres. En revanche rien ne change pour A. A l’échéance, il y a exercice de BSA, B devra apporter une somme complémentaire et aura des actions à un prix de revient 100+prix d’exercice et B aura 100+valeur de l’action en fonds propres. Il n’y a symétrie (en IFRS) qu’entre un acheteur et un vendeur d’options sur un émetteur tiers.