Il n’est pas simple d’être régulateur. Surtout aujourd’hui dans le domaine des normes comptables, quand une partie du travail, avec les normes IFRS, est fait à un niveau supranational, et qu’on reste un simple régulateur national, en quelque sorte de second rang. Surtout encore quand le régulateur de premier rang n’émane pas d’une juridiction politique publique, comme le serait un Etat national ou l’Union européenne, mais d’un « trust » privé, que certains jugent auto-désigné. Surtout enfin quand les normes internationales en question (comme c’est le cas pour tout nouveau système juridique quand la jurisprudence fait encore défaut) appellent légitimement à débats, et que le régulateur national se juge bien placé chez lui pour en observer les insuffisances.

Cela on le comprend. Mais ce que les entreprises et les praticiens des comptes en France comprennent moins, c’est le choix fait par notre régulateur national, en l’occurrence l’Autorité des normes comptables (ANC), de se spécialiser depuis quatre ans dans le rôle de décrier les normes comptables IFRS.

Car cela présente trois dangers :

  • Le premier est de limiter, à cause de cette préemption totale du débat,  l’apport des acteurs français au sein des forums ouverts par l’IASB, l’entité chargée de la mise en place des normes IFRS. Cela ne gêne pas forcément les petits cabinets d’expertise-comptable qui en ont peut-être ni la capacité ni l’envie ; mais c’est dommageable pour la recherche en comptabilité au sein des grands cabinets ou dans les milieux universitaires. Pour les grands cabinets internationaux, le gros de la réflexion sur les normes se fait désormais dans leurs entités non françaises. Il y a pourtant en France une tradition d’excellence des universitaires et autres spécialistes du domaine, qui pourrait s’exprimer pleinement à cette occasion et peser dans le débat.
  • Le second danger de cette attitude est de laisser de côté l’autre aspect de la mission de l’ANC, qui est de faire vivre et évoluer les normes comptables françaises, qui continuent à s’appliquer pour la majorité des entreprises. Ici, il semble que le risque soit déjà avéré : quasiment rien n’a été produit en matière de nouvelles normes ou recommandations depuis quatre ans. Est-ce à dire que les normes françaises présentes, celles que les entreprises rodent tous les jours, sont parvenues à leur nirvana ? Au travail, a-t-on envie de dire !
  • Le dernier danger est le plus gênant. L’autorité de régulation et de supervision est gardienne des « normes », dans un sens fiduciaire, et doit les faire respecter. Et donc par force des normes internationales IFRS qui s’imposent aux sociétés cotées et qu’utilisent un nombre croissant d’entreprises françaises. Un travail de sape trop systématique devient alors dangereux, parce qu’il mine la confiance, peut pousser les investisseurs à ne plus croire en rien et les entreprises à ne plus les respecter. Au total, il peut entraîner une dégradation de la production comptable et créer le mal qu’il entend régler.

Souhaitons que ces trois risques soient bien pesés.

 

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