[Le Blog publie cet article de Richard Lambert, ancien directeur général du CBI, le Medef britannique, paru dans le Financial Times du 19 avril 2012. Au moment où le gouvernement français lance son projet de 150 000 emplois jeune, ciblant une fois de plus essentiellement les administrations publiques, il met le doigt sur le sujet grave de l’emploi des jeunes à faible qualification dans les entreprises privées de nos pays développés. Prêt à Manger est une chaîne de restauration rapide présente Outre-manche.]

La statistique dérangeante de la semaine [du 19 avril 2012, date de l’article, ndlr] : le nombre des nationaux britanniques dans l’emploi total a chuté de 166 000 dans les trois derniers mois de 2011, pour 26,6 millions. Sur la même période, l’emploi des non-nationaux a atteint 2,6 millions, soit un accroissement d’exactement 166 000. La question qui se pose ? Alors qu’il y a un tel mou sur le marché du travail, avec un chômage qui atteint presque 2,7 millions, comment se fait-il que tant d’entreprises trouvent encore intéressant d’embaucher des immigrants étrangers ?

Une partie de la réponse tient aux secteurs où ces emplois sont créés. Quand avez-vous pour la dernière fois acheté un sandwich des mains d’un Britannique chez Prêt à Manger, ou enregistré dans un hôtel dont la majorité du personnel n’est pas d’origine étrangère ? Restaurants, hôtels et toutes les entreprises faisant face aux clients semblent avoir décidé récemment que les jeunes Britanniques font moins l’affaire quand il s’agit de rendre un service de qualité, avec une bonne éthique professionnelle ou même simplement en étant ponctuels.

Ils ont peut-être raison. Le ministre du travail, Chris Grayling, a suggéré cette semaine que recruter des gens d’Europe de l’Est avec quelques années d’expérience était devenu une voie trop facile pour les entreprises. Peut-être devrait-on donner leur chance à des jeunes gens plus près de chez nous, a-t-il ajouté, « pour changer la vie de quelqu’un d’origine modeste, n’ayant pas eu trop de chances dans sa vie, et qui, de ce fait, deviendra un employé modèle ».

Mais si les entreprises peuvent capter de l’étranger les talents motivés dont elles ont besoin, pourquoi devraient-elles prendre la tâche risquée et coûteuse de recruter des jeunes relativement peu qualifiés et qui trop souvent semblent avoir un problème d’attitude ? Parmi les employeurs, les anecdotes d’échec sont plus fréquentes que les histoires du recrutement d’une perle venue du coin de la rue.

Et pourtant ce qui peut avoir du sens pour une entreprise particulière risque de ne pas en avoir pour le monde de l’entreprise pris collectivement. Le nombre des ménages au Royaume-Uni où personne n’a encore jamais travaillé a doublé depuis 1998 pour atteindre 300 000, ceci en excluant les 70 000 qui sont occupés en tant qu’étudiants. Mettez ce chiffre en face d’autres statistiques un peu grises du Royaume-Uni, comme la forte proportion de jeunes hommes britanniques qui ne sont ni en formation, ni étudiant, ni en stage, ni bien sûr salarié, et vous avez un mécanisme qui n’est bon ni pour la demande des ménages, ni pour les finances publiques. La mise à l’écart de la société d’une tranche d’âge a des conséquences tragiques pour l’économie et représente une menace pour la cohésion sociale. On ne peut simplement l’ignorer.

Bien sûr, les réponses à long terme reposent sur des politiques qui promeuvent le niveau d’éducation et les qualifications requises dans le monde du travail. Mais à court terme, une aide sociale compatible avec des incitations à travailler est une nécessité. Le gouvernement essaie de traiter ces priorités. Mais le défi ne repose pas simplement sur le corps politique ou éducatif. Si les entreprises sont insatisfaites du comportement de certains jeunes employés britanniques, c’est à elles de faire quelque chose – en s’engageant avec les écoles de tout niveau, en offrant des conditions de travail décentes et en fournissant la formation et l’apprentissage nécessaires pour transformer de simples recrues en employés de valeur.

Un exemple : une analyse parue cette semaine insiste à nouveau sur la valeur d’une bonne expérience de travail, mais elle suggère aussi que les programmes pourraient être mieux organisés. La moitié des stages en entreprise sont trouvés par les jeunes ou leur famille grâce aux réseaux sociaux existants [dont la présence d’un parent dans l’entreprise, ndlr], ce qui met une barrière pour les familles au chômage. Les entreprises pourraient peut-être faire davantage pour attirer les jeunes sur ces stages.

Le monde des affaires britannique valorise beaucoup un marché du travail flexible. Mais s’il échoue à traiter de ce problème d’action collective et continue à reposer trop largement sur les solutions commodes du passé dans sa politique de recrutement, cette flexibilité sera mise à mal. Les gouvernements ne peuvent pas se permettre d’assister à la montée d’une cohorte de jeunes sans emploi ni qualification, et sans emprise sur la société, sans ne rien faire.

M. Grayling a été extrêmement circonspect cette semaine. Mais on peut imaginer un futur ministre prendre une position plus agressive et imposer aux entreprises des programmes d’apprentissage imposés qui leur nuiraient et pèseraient sur la croissance. Ces chiffres de l’emploi sont un appel à l’action.

 

Article traduit et publié avec l’aimable autorisation du Financial TImes