Quand le CICE rompt nos évidences comptables…
L’avis de l’ANC du 28 février sur le traitement comptable du Crédit d’Impôt pour la Compétitivité et l’Emploi (CICE) a donné lieu à une discussion de deux heures au collège de l’Autorité des normes comptables. Vous imaginez la pression qui pèse sur les décideurs publics en fonction d’objectifs gouvernementaux. Il faut avoir en mémoire le rapport Gallois et sa feuille de route de compétitivité, par la baisse du coût du travail. Mais amputer les recettes de la Sécurité sociale pose bien des problèmes, notamment avec les partenaires sociaux.
L’avis de l’ANC du 28 février sur le traitement comptable du Crédit d’Impôt pour la Compétitivité et l’Emploi (CICE) a donné lieu à une discussion de deux heures au collège de l’Autorité des normes comptables. Vous imaginez la pression qui pèse sur les décideurs publics en fonction d’objectifs gouvernementaux. Il faut avoir en mémoire le rapport Gallois et sa feuille de route de compétitivité, par la baisse du coût du travail. Mais amputer les recettes de la Sécurité sociale pose bien des problèmes, notamment avec les partenaires sociaux. En revanche un « crédit d’impôt » reste du ressort de l’Etat et n’aura d’impact sur l’équilibre budgétaire qu’en 2014, alors qu’une baisse des cotisations sociales aurait plombé l’objectif de retour aux 3 % dès 2013 ; les pouvoirs publics gagnent donc un an. En revanche, le CICE devenant mobilisable par les entreprises dès 2013, la BPI fera les avances correspondantes.
Donc, par nature c’est bien un crédit d’impôt (à traiter comme l’IS, en négatif, donc – logiquement – non imposable, comme le CIR). D’où le retour au débat vieux d’il y a plus d’un an : en IFRS ce serait plutôt une subvention, alors qu’en comptabilité non consolidée l’ANC avait insisté pour que cela soit bien en moins de l’impôt sur les bénéfices… Jusqu’à cette nouvelle version d’un crédit d’impôt. Le gouvernement insistant sur la baisse des charges des entreprises, il faut que cela soit visible le plus vite possible. Or, un crédit d’impôt ne saute pas aux yeux du grand public. En revanche, pour mieux prouver que les charges de personnel vont baisser, rien de tel que la ligne correspondante du compte de résultat, d’où le trait de génie d’inscrire un impôt négatif en moins d’une charge d’exploitation (ce qui pourrait paraître presque pour un hommage à IAS20).
Quand bien même la logique plaiderait pour un transfert de charge, solution qui avait l’avantage de respecter le PCG, notamment pour ne pas violer le vieux principe de non-compensation. Oui, mais voilà, un « transfert de charge », ça ne dit rien à un haut fonctionnaire qui a pour mission de montrer noir sur blanc que les frais de personnel diminuent. Donc, va pour la charge négative ! Bien entendu, la liasse fiscale va s’adapter; on y verra peut-être un petit encadré sur la ligne des charges sociales, « dont CICE ». Et on retraitera la charge négative, non déductible, dans la détermination du résultat fiscal. Il faut savoir aussi que les entreprises sont demandeuses, puisque ça aura un effet d’affichage sur les EBITDA, donc sur la performance d’exploitation, assiette de beaucoup de rémunérations variables de chefs d’entreprises.
Il va sans dire que ce traitement reste peu envisageable pour les entreprises à l’IR (et comme la France milite pour que les BIC ou BNC restent hors champ des directives, peu importe qu’ils divergent sur ce point). Bien entendu, en consolidation, les experts-comptables seront là pour retraiter tout ça, et les fiscalistes aussi. Selon l’idée bien répandue, qui veut que nous nous nourrissions de complexité.
Ah, j’oubliais : il ne s’agit que d’un avis de l’ANC, exprimé en termes très mesurés : « Le collège considère que […] la comptabilisation du CICE […] au crédit d’un sous-compte […] est justifiée ». Rien de plus. Cela n’a pas la force d’un règlement, et ne suit pas le « due process » d’homologation habituel. C’est dire le degré de liberté qui sera laissé aux choix de l’entreprise; et la disparité des bilans en perspective. Par ailleurs, il n’est pas exclu que d’ici un an (n’oublions pas le but premier que ça laisse toute chance à la France de revenir dans les clous de Bruxelles sur l’année 2013), le dispositif soit réexaminé. On sait aussi que certains groupes y ont déjà vu une faille, puisque dès le bilan 2012 certains vont profiter du décalage des payes de décembre 2012 sur janvier 2013 pour commencer à engranger le profit correspondant. Bref, on est face à un chantier normatif qui n’en est qu’à ses débuts. Mais, après tout, c’est notre fierté d’experts-comptables de gérer ces aléas législatifs. Et puis l’essentiel n’est-il pas que le coût du travail aille à la baisse ? Peu importe si le CICE rompt nos évidences juridiques : n’est-ce pas le principe de substance auquel il entend rendre hommage ?
Vos réactions
Une telle présentation « en net » me paraitrait criticable dans des comptes consolidés établis selon les IFRS… Concernant le bilan, le CICE « à recevoir » ne peut pas etre presenté en moins des dettes envers le personnel,car il s’agit de créances et de dettes avec des contre-parties différentes. IAS 1.32 interdit d’une facon générale la presentation « en net », tant au bilan qu’au compte de résultats, sauf lorsqu’une norme spécifique demande une telle compensation dans le but de rendre les informations financières plus compréhensibles.
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Le traitement comptable du CICE en réduction des frais de personnel devrait effectivement être privilégié par les entreprises, non seulement pour afficher un résultat opérationnel plus élevé, mais surtout pour mieux reféter la véritable nature et le caractère récurrent (et donc durable…) de cette réduction du coût du travail des salariés concernés.
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