Quel impact la crise financière liée au Covid-19 peut-elle avoir sur les tests de dépréciation des entreprises ?
L’arrivée de la crise liée au Covid-19 en Europe s’est traduit par une chute brutale des cours, avec une baisse de près de 30% de l’indice CAC 40 sur les trois derniers mois. En pleine période de clôture trimestrielle et de finalisation de la communication autour des états financiers 2019 pour de nombreuses sociétés, la baisse de l’indice peut faire craindre des répercussions sur la valeur des actifs de ces sociétés.
Cet évènement peut constituer un indice de perte de valeur au sens d’IAS 36, même si la valeur de l’indice n’est pas directement corrélée à celle des incorporels et du goodwill inscrits au bilan de ces sociétés. D’abord parce qu’il s’agit d’une indication ponctuelle qui, même si elle traduit des perspectives conjoncturelles dégradées à court terme ne signifie rien sur le moyen/long terme et ensuite parce que ceux-ci ne font pas l’objet de valorisation sur des marchés actifs.
C’est pourquoi, un indice de perte de valeur identifié sur le marché ne peut conduire de façon mécanique, sans autre analyse, à un impact sur la valeur des actifs de sociétés.
Les guidelines de l’IPEV (International Private Equity and Venture Capital Valuation Guidelines) indiquent d’ailleurs dans une note du 31 mars 2020 que la fair value n’est pas un prix à la casse (fire sale price) [1] comme peuvent le traduire les cours boursiers. Ainsi on peut considérer que valeur et prix se déconnectent en période de crise parce que les marchés de transaction M&A ne sont plus suffisamment actifs et que les cours boursiers reflètent plus l’aversion au risque des marchés que les valeurs vénales des actifs.
Pour savoir quel impact la crise financière liée au Covid-19 peut avoir sur les tests de dépréciation des entreprises, il est donc nécessaire de commencer par se référer à la norme IAS 36.
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Ce que dit la norme IAS 36 en matière d’indices de perte de valeur
Pour mémoire, la norme IAS 36 relative aux « dépréciations d’actifs » stipule qu’une entité « entité doit apprécier à chaque date de reporting s’il existe un quelconque indice qu’un actif peut avoir subi une perte de valeur ». Pour apprécier cette potentielle dépréciation, l’entité doit considérer à la fois des sources d’informations internes et externes. Parmi ces sources externes, la norme identifie par exemple la possibilité « d’importants changements, ayant un effet négatif sur l’entité […] dans l’environnement […] économique […] ou du marché dans lequel l’entité opère » mais aussi le cas où « la valeur comptable de l’actif net de l’entité est supérieure à sa capitalisation boursière »[2].
Si la crise liée au Covid-19 va donc très certainement obliger les sociétés à tester leurs actifs avant la fin de l’exercice annuel, ce n’est pas pour autant que celles-ci devront nécessairement passer des dépréciations, ni que le montant de ces dépréciations sera nécessairement d’un montant élevé.
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La détermination de la valeur d’un actif dans le cadre d’IAS 36 en temps de crise
En effet, la norme IAS 36 définit la valeur recouvrable d’un actif (ou d’une Unité Génératrice de Trésorerie) comme « la valeur la plus élevée entre sa juste valeur diminuée des coûts de la vente et sa valeur d’utilité »[3].
En ce qui concerne la valeur de marché, la norme indique que celle-ci doit refléter le prix qui serait payé dans des « conditions de concurrence normale ». De fait, une situation de crise n’est sans doute pas le reflet de conditions de concurrence normale puisque les sociétés qui vendent dans ce contexte sont à la fois moins nombreuses et le plus souvent contraintes à la vente dans cette situation particulière. De plus, la détermination d’un prix de marché s’appuie généralement sur les données de transactions récentes (passées) disponibles, transactions réalisées dans un contexte différent du contexte actuel, sans certitude sur la date à laquelle des conditions similaires de marché vont pouvoir être retrouvées. L’approche par la valeur « de marché » (« mark to market » ou « mark to transaction ») n’est donc sans doute pas à privilégier dans un contexte de crise.
La norme IFRS 13 « Evaluation de la juste valeur » introduit une hiérarchie des justes valeurs, permettant de pallier les difficultés induites par les définitions de la valeur d’IAS 36 et de se détacher de la valeur de marché lorsque celle-ci n’est pas pertinente. Ainsi, la juste valeur utilisant des « données d’entrée de niveau 3 » selon IFRS 13 permet de calculer la juste valeur d’un actif en se fondant sur des données non observables (« mark to model »).
Celle-ci rejoint ainsi la notion de valeur d’utilité fondée sur des estimations des flux de trésorerie futurs, et en particulier sur les projections des entrées et sorties de trésorerie futures relatives « à l’utilisation continue de l’actif ». Ces projections nécessitent de se placer à un horizon moyen / long terme, pour valoriser des actifs incorporels / goodwill qui ont une durée de vie indéfinie.
Cet horizon permet de lisser les effets de la crise en cours, et donc de limiter les risques de dépréciation, au moins dans l’immédiat. Cet impact est d’autant plus lissé que la valeur terminale représente souvent un poids important dans l’évaluation d’actifs à durée de vie indéfinie[4], et limite d’autant plus l’impact d’éléments non normatifs sur les premiers mois ou les premières années du plan d’affaires.
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Les impacts potentiels de la crise sur les tests de dépréciation
Alors que des économistes annoncent une récession d’une ampleur historique (la plus importante depuis la seconde guerre mondiale), l’impact de la crise liée au Covid-19 sur la mise en œuvre des tests de dépréciation des sociétés françaises devient un enjeu essentiel.
En effet, il faut s’attendre à ce que, pour la plupart des secteurs (hormis sans doute l’agroalimentaire et la santé), le budget 2020 ainsi que les plans d’affaire à moyen terme soient sévèrement impactés.
La rentabilité des entreprises à la suite de la crise dépendra aussi des politiques mises en œuvre par le gouvernement, pour supporter les entreprises pendant la crise dans un premier temps, mais aussi pour financer ces mesures dans un second temps. Ainsi, la baisse d’impôt sur les sociétés prévue dans la loi de finances 2020[5] et le calendrier de cette baisse pourraient être impactés. Les grandes entreprises françaises, et en particulier les sociétés du CAC 40, vont donc devoir prendre en compte l’ensemble de ces éléments dans la révision de leurs plans d’affaires[6].
Enfin, ces flux futurs doivent être actualisés à aujourd’hui en utilisant un taux d’actualisation qui reflète à la fois la valeur temps de l’argent et les risques spécifiques à l’actif non pris en compte dans les flux de trésorerie. Celui-ci repose en partie sur des paramètres de marché mais, à la différence d’une estimation de la valeur en « mark to market », ces paramètres de marché ne reflètent pas de manière mécanique des données à court terme, et peuvent au contraire refléter des tendances de marché à horizon moyen / long terme. Il faudra donc s’interroger sur l’impact de la crise liée au Covid-19 sur les taux d’actualisation retenus dans le cadre des tests de dépréciation. L’ensemble des paramètres nécessaires au calcul du taux d’actualisation est concerné : taux sans risque, prime du marché actions, beta de la société, coût de la dette, etc.
Concernant les primes de risque, il est particulièrement important dans ce contexte de coordonner les primes utilisées dans les taux d’actualisation avec les flux prévisionnels retenus afin d’éviter la double peine : des flux revus sensiblement à la baisse et des primes de risque tirées du marché s’appliquant à des contextes où les flux futurs n’ont pas été suffisamment réajustés. Nous notons que l’Autorité des Marchés Financiers (AMF) avait par exemple recommandé après la crise de 2008 que les primes de risque utilisées dans les valorisations par les flux de trésorerie disponibles soient déterminées à l’aide d’une « approche raisonnable et cohérente avec les données historiques […] pour corriger certains effets de la perturbation des marchés sur la prime de risque »[7]. Il sera intéressant de voir si pour la crise actuelle de nouvelles normes seront édictées ou si l’AMF fera de nouvelles recommandations.
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Conclusion
La crise liée au Covid-19 aura pour premier impact direct d’obliger les entreprises à tester la valeur de leurs actifs incorporels non amortissables et leurs goodwill inscrits au bilan dès le prochain reporting, sans attendre la fin de l’exercice comptable annuel.
La nécessité de tester les actifs ne signifie pas que le montant des dépréciations va fortement augmenter dès 2020, mais la mise en œuvre des prochains tests de dépréciation devra faire l’objet d’une attention particulière. Les effets de la crise pourront être ponctuels ou se prolonger dans le temps. A cet égard, des hypothèses de sortie de crise ou même des scénarios probabilisés pourront être définis.
Ainsi, les sociétés devront être extrêmement vigilantes à l’évolution des principaux indicateurs de valeur, et continuer de mettre à jour leurs prévisions de façon régulière pour anticiper tout risque de perte de valeur.
Les impacts de cette crise liée au Covid-2019 devront donc être révisés périodiquement au fur et à mesure que la réduction de l’incertitude permettra de fiabiliser les hypothèses compte tenu des aléas soulignés par les dernières prévisions des économistes[8].
[1] IPEV Board, Special Valuation Guidance, 31 mars 2020: « Fair value does not equal a “fire sale” price ».
[2] Normes IAS 36, reprise sur le site www.focusifrs.com
[3] Sachant que si l’une ou l’autre de ces valeurs est supérieure à la valeur comptable de l’actif, alors il n’est pas nécessaire de déterminer l’autre valeur.
[4] Le poids de la valeur terminale est souvent supérieur à 50% de la valeur totale de l’actif. Ce poids décroit avec son éloignement dans le temps (i.e. plus le nombre d’années nécessaire pour atteindre un flux normatif est élevé, moins le poids de la valeur terminale est important).
[5] https://www.economie.gouv.fr/cedef/mesures-fiscales-2020
[6] Nous rappelons que le fondement, irréaliste en pratique, d’IAS 36, était que la valeur de l’actif de ne devait pas être influencée par l’impôt. L’approche par la juste valeur en « mark to model » telle que définie par IFRS 13 permet de prendre en compte cet effet lié au taux d’imposition.
[7] Recommandation AMF n°2008-22 – Arrêté des comptes 2008, §3.1. « Incidences de la crise sur la valorisation des actifs incorporels et des écarts d’acquisition ».
[8] Cf. article Les Echos du 7 avril 2020 « Les conjoncturistes noircissent leurs prévisions » : « Barclays prévoit ainsi que la France ne retrouvera le niveau de son PIB du troisième trimestre 2019 que lors des trois derniers mois de 2021 ».
Vos réactions
Paradoxe des arrêtés de comptes. Surtout ne touchez à rien, Pas de provision sur vos bilans 2019, nous enjoignent les normalisateurs de l’audit, sous couvert d’une apparition du virus, chez nous, après la clôture ! Mais voici un indice de perte de valeur qu’on ne saurait laisser sans écho sur la valeur de nos actifs en IFRS… On se souvient de janvier 2008 à la Société Générale: Jérôme K. avait contracté la position risquée en janvier seulement mais le bilan 2007 avait acté aussitôt la perte de 5 milliards sous couvert que le trader était déjà dans le fruit depuis des mois… Le covid se baladait déjà en 2019, porteur d’indices décryptés trop tard. Un beau sujet: la compta comme reflet du passé ou promesse d’avenir.
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