Qui surveille les surveillants ? Le rôle des agences de notation dans la crise
La crise financière actuelle résulte de nombreuses interactions complexes qui se sont cristallisées autour du marché immobilier américain, avant de contaminer d’autres actifs. À l’origine de cette crise, il y a les générations d’innovations financières capables de manipuler sans fin des actifs monétisés, de moins en moins représentatifs d’une création de richesse réelle. La plus révolutionnaire de ces innovations, c’est la titrisation. La titrisation consiste à rendre liquide, sous forme de titres, des actifs financiers qui ne le sont pas a priori, comme un crédit immobilier. Ce processus de titrisation passe par l’utilisation d’une entité ad hoc (un Special Purpose Vehicle ou SPV, appelé fonds commun de créances en droit français), sans fonds propres, mais disposant d’un bilan : à l’actif, des crédits (non liquides et caractérisés par un certain niveau de risque) ; et au passif, des obligations échangeables sur un marché (très liquides et caractérisées par un degré de risque variable).
Mais cette activité de transformation est impossible sans la contribution majeure des agences de notation. Ce sont elles qui notent les obligations qui « sortent » du SPV : elles jugent de leur risque relatif. Or, lorsque des créances risquées et de mauvaise qualité sont titrisées, et que ces dernières subissent un choc, c’est aussi tout ce qui « sort » des SPV qui en pâtit : les primes de risque sur ces obligations explosent et leur valeur s’effondre. On réalise alors que la pyramide de la titrisation ne repose sur aucune base solide.
Les agences de notation et l’avènement de la crise
La crise financière actuelle résulte de nombreuses interactions complexes qui se sont cristallisées autour du marché immobilier américain, avant de contaminer d’autres actifs. À l’origine de cette crise, il y a les générations d’innovations financières capables de manipuler sans fin des actifs monétisés, de moins en moins représentatifs d’une création de richesse réelle. La plus révolutionnaire de ces innovations, c’est la titrisation. La titrisation consiste à rendre liquide, sous forme de titres, des actifs financiers qui ne le sont pas a priori, comme un crédit immobilier. Ce processus de titrisation passe par l’utilisation d’une entité ad hoc (un Special Purpose Vehicle ou SPV, appelé fonds commun de créances en droit français), sans fonds propres, mais disposant d’un bilan : à l’actif, des crédits (non liquides et caractérisés par un certain niveau de risque) ; et au passif, des obligations échangeables sur un marché (très liquides et caractérisées par un degré de risque variable).
Mais cette activité de transformation est impossible sans la contribution majeure des agences de notation. Ce sont elles qui notent les obligations qui « sortent » du SPV : elles jugent de leur risque relatif. Or, lorsque des créances risquées et de mauvaise qualité sont titrisées, et que ces dernières subissent un choc, c’est aussi tout ce qui « sort » des SPV qui en pâtit : les primes de risque sur ces obligations explosent et leur valeur s’effondre. On réalise alors que la pyramide de la titrisation ne repose sur aucune base solide.
Néanmoins, il n’est pas exact de dire que les agences de notation n’ont pas réagi face à la crise. Elles ont commencé à abaisser leurs notes sur les opérations de titrisation faites à partir de 2005, soit seulement 24 mois avant le déclenchement de la crise des subprimes. Sans doute n’avaient-elles pas pris la mesure des effets systémiques induits. Surtout, ces abaissements de notes résultaient d’une correction technique, les taux de marché étant une variable des modèles utilisés. Il s’agissait donc simplement d’une baisse mécanique et non pas d’une décision propre. Avant et pendant la crise, les agences de notation ont manqué à leur vocation : produire une analyse profonde et prospective de la situation économique.
Les paradoxes des agences de notation
Au demeurant, les agences de notation sont elles-mêmes traversées par de nombreux paradoxes. Leur actionnariat d’abord : les trois grandes agences de notation1 qui se partagent le marché sont toutes trois détenues par des capitaux privés. Elles doivent donc obéir à une logique du profit, et notamment à la règle des 15% de retour sur fonds propres après impôts.
Pour atteindre ces objectifs, les agences sont incitées à faire du volume, tout en maintenant les prix les plus élevés possibles. Or, ce sont les émetteurs qui paient pour obtenir leur note, et non pas les investisseurs. Les agences sont donc tentées de vouloir fidéliser leurs clients et pour cela, de ne pas baisser leur note trop brutalement. Si l’on regarde plus précisément l’une d’entre elles, Moody’s, on constate que ses actions sont cotées sur le marché américain. Les analystes seniors de cette agence sont rémunérés par une part fixe, une part variable et des stock-options. C’est une nouvelle incitation à favoriser le profit pur pour pouvoir exercer ses options dans les meilleures conditions financières, quitte à noter avec indulgence des transactions de titrisation toxiques.
Pour prouver leur bonne foi et marquer leur indépendance vis-à-vis de toute pression externe de leurs clients, les agences communiquent sur la structure de leurs portefeuilles. Elles montrent que la dépendance aux « gros clients » est faible, c’est-à-dire qu’aucun client ne contribue assez à leur chiffre d’affaires pour menacer la situation financière des agences en cas de défection, pas même le gouvernement des États-Unis.
Cette indépendance présumée ne leur retire pas le souci de maintenir leurs marges au plus haut. Pour ce faire, les agences doivent produire un grand nombre d’opinions. Et au cours des dernières années, avant l’éclatement de la bulle des « subprimes », l’évaluation des titrisations était devenue la première source de revenus des agences. Difficile de penser que les agences n’ont pas fait preuve d’indulgence pour ces notations. D’autre part, les agences ont dû comprimer leurs coûts, et augmenter la productivité moyenne des analystes. Dans cette perspective, certaines agences ont rapidement relevé les cadences de travail, en chargeant les analystes de plus en plus de dossiers de crédit. D’autres se sont engagées dans une baisse des prix, misant sur le volume, et préférant embaucher des analystes plus juniors, et donc forcément moins expérimentés.
Dans tous les cas, la qualité de l’analyse ne peut qu’en pâtir. Or, les ratings ne sont pas des services financiers comme les autres ; ils participent de la « fides », c’est-à-dire de la confiance des acteurs à l’égard de leur système financier, banques commerciales et banque centrale incluses. Pour que la qualité reste l’apanage de la notation financière, les analystes ne doivent pas être en permanence « le nez dans le guidon », mais au contraire disposer des moyens de prendre de la hauteur, de la distance et des vacances. Ils doivent avoir le temps de lire, d’écouter des Prix Nobel et de retourner à l’université.
Plaidoyer pour une agence de notation publique
En réalité, l’activité de production de ratings relève quasiment du service public. La surveillance des marchés du crédit est l’une des missions de la régulation de la finance obligataire. Or, l’autorégulation des marchés a montré ses limites. Il faut dès aujourd’hui repenser la place des agences de notation. On ne peut imposer aux actionnaires privés de sacrifier leurs marges pour le bien public ; ce n’est pas leur rôle, ni le mandat qu’il leur a été donné par les marchés. De surcroît, il n’est pas question de nationaliser les agences de notation existantes : le marché a besoin d’elles. Mais il n’est pas question de les laisser dominer cette activité sans contrepoids ni garde-fous. Par conséquent, il est temps de voir émerger une agence de notation publique, au sens où elle serait détenue par des capitaux publics.
Seul l’acteur public n’a pas d’exigence excessive au regard de la rémunération des fonds propres investis. Mais pour autant, les États sont des entités beaucoup trop marquées idéologiquement et politiquement, insuffisamment détachées des enjeux économiques. Par conséquent, la nouvelle agence publique de notation devra nécessairement être supranationale, ou détenue par des capitaux publics supranationaux. La Banque Mondiale émerge comme l’actionnaire parfait, et notamment son bras financier dirigé vers le secteur privé, la Société Financière Internationale (SFI). Déjà bien enracinées dans les activités de financement, de développement et de subvention, la Banque Mondiale et la SFI sont depuis longtemps très aguerries aux questions éco-financières globales, et se sont frottées depuis longtemps aux crises protéiformes qui secouent la planète depuis les deux dernières décennies de dérégulation.
On pourrait imaginer une agence de notation totalement contrôlée par la SFI en tant qu’actionnaire, mais fonctionnant sur un régime proche de celui du secteur privé. Son siège serait installé à la City de Londres, et s’appuierait sur le maillage territorial très serré de la Banque Mondiale dans le monde. Bien entendu, les activités financières de la SFI seraient totalement séparées de ses activités de notation et ce, sous le contrôle d’une équipe d’inspecteurs de la Banque Mondiale. Sans quête démesurée du profit, les analystes de cette nouvelle agence pourraient s’attacher à suivre 2 ou 3 fois moins de dossiers que dans les agences du secteur privé. Les budgets de formation et de recrutement seraient comparativement plus importants, pour assurer d’une part le maintien d’un haut degré de compétence et d’autre part la diversité des talents.
Le projet d’une agence de notation publique répond à des attentes communes encore latentes. En économie, comme dans n’importe quelle autre forme d’interactions humaines, les acteurs ont besoin de sens, c’est-à-dire d’une direction clairement identifiée et d’un minimum de signification symbolique. Les agences de notation privées, tiraillées en permanence entre le profit des actionnaires et la quête de la qualité analytique, parviennent mal à concilier ces objectifs contradictoires. Au milieu, se tiennent les analystes, souvent frustrés, toujours fatigués. Si la collectivité publique mondiale peut les aider à nous rendre ce service, alors pourquoi s’en priver ?
1. Fitch, Moody’s et Standard & Poor’s.
Contribution originale pour le CEPS, reproduite avec son autorisation.