La recherche de ces chercheurs du MIT reposait sur cinq variables : la population, la production industrielle, la production agricole, les ressources naturelles et la pollution. Les auteurs constataient alors :

« Si les tendances actuelles de croissance de la population mondiale, de l’industrialisation, de la pollution, de la production alimentaire et de l’épuisement des ressources se poursuivent sans changement, des limites seront atteintes au cours des cent prochaines années. Et en découlera vraisemblablement le déclin, rapide et incontrôlable, de la population et de la production industrielle. »

 

L’alerte du rapport Meadows aurait dû normalement influencer les mondes politique, scientifique et professionnel. Or, elle a été largement ignorée. La conjoncture économique des années 1970 a conduit le monde académique à se focaliser sur des objectifs de performance économique à court terme. Le problème n’était pas alors d’assurer un développement durable mais de faire face à deux chocs pétroliers. Puis le tournant libéral des années 1980 a entrainé une financiarisation et une internationalisation des échanges. L’exercice d’une gouvernance des entreprises par les actionnaires a relégué au second plan les objectifs de lutte contre le réchauffement climatique et contre la pollution. Les enseignants-chercheurs en management ont privilégié les modèles micro-économiques, la gestion des urgences et des crises, ainsi que la création d’avantages concurrentiels à court ou moyen terme, comme en témoigne le succès des travaux de Michael Porter.

La formation des dirigeants d’entreprises était basée, depuis les années 1950, à la fois sur des études de cas de business policy initiées par l’université de Harvard, et sur des modèles relevant de sciences dures, avec des formalisations mathématiques et des tests économétriques, préconisés notamment lors de la réunion de l’Académie du Management tenue à Pittsburgh en 1978. Cette seconde approche s’est imposée après les avancées en finance de marché pratiquées par l’école de Chicago au cours des années 1990. La plupart des chercheurs en management se sont donc progressivement éloignés de leurs terrains et détournés de dialogues en profondeur avec les dirigeants des entreprises et leurs parties prenantes.

Mais à partir de 2020, sous l’impulsion de Gaya Herrington, les analyses du rapport Meadows ont été actualisées et la validité de ses conclusions a été confirmée. La stagnation de la croissance démographique dans les pays occidentaux, ainsi que le ralentissement des productions industrielle et alimentaire, se sont conjugués à une intensification du réchauffement et des crises climatiques. Cette entrée dans l’ère de l’Anthropocène a été confirmée par des nombreuses observations dans divers champs scientifiques, notamment par celles du GIEC. De plus en plus de travaux – comme ceux du professeur Jay Barney – s’efforcent désormais d’intégrer les impacts environnementaux et sociétaux dans les théories des ressources et des débouchés.

Selon l’Institut Français de Gouvernement des Entreprises, la refondation des sciences du management et sa fertilisation par d’autres disciplines, devraient prendre au moins une décennie, comme le confirme dans son dernier livre[1], le professeur Alain-Charles Martinet, qui est une des grandes figures du management stratégique des entreprises depuis quarante ans. Il s’efforce désespérément de trouver un sens à l’évolution de la pensée stratégique depuis un demi-siècle. Il constate que la financiarisation et la « marchéisation » des activités des entreprises – mais aussi de l’État, des collectivités territoriales et des associations – ont conduit rapidement à l’effacement de la réflexion stratégique et du capitalisme managérial, au profit de l’économie numérique et d’un « capitalisme liquide ». Depuis les années 1980 – et malgré les crises financière de 2008 et pandémique de 2020 -, l’homo strategicus et l’État providence issu de la théorie keynésienne, n’ont pu éviter le retour de l’homo oeconomicus en quête d’utilité immédiate et inspiré par la doctrine libérale d’Hayek et de Friedman. Cette dernière, conjuguée à l’heuristique de la « destruction créatrice » de Schumpeter, conduit à exposer l’entreprise, l’État et la société civile, à de plus en plus de risques environnementaux et sociaux. Ces risques revêtent des formes de délitement social, de désaffection du politique et de comportements opportunistes de la part de plus en plus d’acteurs sociaux.

Un demi-siècle après le rapport Meadows, il semble que les avancées des théories et des pratiques en faveur du développement durable et de la responsabilité sociale de l’entreprise, soient toutefois encore insuffisantes pour restaurer un management à la fois plus durable et plus inclusif.

 

[1] Martinet A-C., Homo Strategicus. Capitalisme liquide, destruction créatrice et mondes habitables, EMS, dec. 2022.