Mener une politique de rigueur constitue une ardente nécessité, chacun l’a bien compris. Nos Etats-providence arrivent au bout d’un cycle : celui où l’emprunt a pu financer une part toujours croissante des dépenses de fonctionnement du secteur public et des dépenses sociales. Pour un pays comme la France, la feuille de route est la même que celle qu’a suivie un grand nombre de pays de l’OCDE avant la crise de 2008-2009, et qui leur avait permis de connaître des épisodes de désendettement significatifs. Il s’agit d’engager une stabilisation puis une baisse structurelle des dépenses d’un côté, et de protéger les recettes de l’autre, notamment en supprimant un certain nombre de niches fiscales et sociales. La réforme des retraites cette année concerne le premier aspect. Les quelques milliards d’euros d’économies annoncées lors de la présentation du budget 2011 sur les niches fiscales et sociales traitent du second. De ce point de vue, la méthodologie gouvernementale est correcte. Mais c’est quand on entre dans le détail que les choses se compliquent.

Tout l’enjeu du débat, c’est de concilier rigueur et croissance ou, pour reprendre le néologisme de la ministre de l’économie, d’inventer une « rilance » à la française. C’est faisable. Il existe bien un chemin de crête à emprunter qui permette de réduire la dépense publique en musclant le secteur privé. La réforme des retraites y participe, l’externalisation de certaines tâches effectuées par les ministères ou les collectivités locales aussi. De même, certaines niches fiscales et sociales sont passées à côté de leur objectif. Il faut les supprimer. En revanche, certaines niches correspondent à un objectif de politique économique. En effet, ne jetons pas le bébé avec l’eau du bain. La fiscalité française est trop complexe, c’est une évidence. Mais elle demeure un puissant outil d’incitation afin d’infléchir certains comportements dans un sens favorable à l’intérêt général.

De ce point de vue, le traitement réservé dans le Projet de Loi de Finance 2011 aux emplois familiaux peut inquiéter. Aujourd’hui, les ménages qui emploient des particuliers à leur domicile bénéficient tout à la fois d’une déduction fiscale (50 % sous conditions de plafond notamment) et d’un abattement de 15 points sur les charges sociales. Ces dispositifs participent à la solvabilité de la demande de services à domicile et au développement de l’emploi dans ce secteur, dont à peu près tout le monde convient de l’importance. Importance pour les particuliers employeurs : l’accompagnement des personnes en perte d’autonomie ou des jeunes enfants constituent l’obsession de tout adulte normalement constitué. Importance pour les salariés : le secteur des particuliers employeurs fait travailler 1,7 million de salariés, avec un taux horaire moyen brut de 11,2 euros, supérieur au SMIC ; la croissance de l’emploi y est structurellement forte. Importance pour l’Etat : les particuliers employeurs versent 10 milliards d’euros de masse salariale annuelle, masse salariale dont il faut éviter qu’elle sorte du cadre légal en gonflant le travail au noir. Car, même une fois l’ensemble des déductions fiscales et sociales prises en compte, le secteur amène chaque année environ 3 milliards d’euros dans les caisses de l’Etat.

Si les réductions fiscales semblent devoir perdurer, les réductions de charges soient dans le collimateur. Mais pour quelle justification économique ou comptable ? Bercy espère économiser plusieurs centaines de millions d’euros en supprimant cet abattement. Mais ce ne sera pas le cas car ce qui sera récupéré via les suppressions de charges sera perdu via le coût de l’indemnisation des nouveaux chômeurs. En effet, en supprimant des abattements de charges dans ce secteur, on augmente brutalement le coût du travail. Or, s’il est en économie une relation qui est bien établie, c’est celle qui relie le coût du travail au chômage. Le gouvernement prendrait donc le risque de priver des familles de services dont elles ont besoin et de priver des salariés d’emplois qui les font vivre sans même que les budgets publics aient une chance d’en bénéficier. Ce n’est pas ça la rilance.

 

* Cet article a initialement été publié le 11 octobre 2010 dans Le Figaro.