Ces temps de commémoration de nos fléaux guerriers nous invitent à une pensée pour nos économistes victimes de « l’Économie incertaine » qui « [….] chaque lendemain ont expliqué doctement pourquoi ils s’étaient trompés la veille ».

 

D’évidence, leur crédibilité est altérée, ils n’en méritent pas moins notre compassion : privés durant cette grande crise des certitudes de leur science (devenue
molle) et des théories frontalement opposées du dilemme de la rigueur et de la relance.

 

D’un côté les tenants de la relance éternelle, keynésiens ou adeptes du Nobel Paul Krugman (ou des économistes de gauche nationaux) considèrent que le principal enseignement de ces décennies de récession tient dans une insuffisance structurelle de la demande dans les pays dits développés ; et que l’objectif (jamais atteint) du plein emploi n’a été approché qu’au prix d’une perfusion monétaire récurrente générant bulles et surendettement des Etats comme des ménages.

 

Si en effet la crise financière semble être derrière nous, nos économies restent profondément déprimées en dépit de tous les efforts consentis au point de penser qu’à l’instar de la maladie japonaise nous sommes entrés dans des temps longs « d’une dépression modérée » ; celle-ci serait alimentée à la fois par la baisse tendancielle de la population active dans les « vieilles nations » et la persistance des déficits commerciaux nés dans les années 80 et jamais disparus…

 

Les valeurs se seraient donc inversées : « […] les vertus des politiques économiques anciennes seraient devenues vice et la prudence folie » . Pour les tenants de cette « nouvelle économie » l’acharnement sur la réduction des déficits budgétaires est suicidaire : dès lors, le salut passerait, loin de la rigueur, par la persistance pour plusieurs décennies de stratégies, non pas de sorties de crise, mais d’accompagnements non conventionnels et accommodants, fournissant pour longtemps de l’argent pas cher massivement.

 

Du côté des libéraux, adeptes de la rigueur, tout aussi légitimés par leurs prix Nobel , le retour de la croissance passe par une compétitivité par « le haut », par l’innovation et l’investissement : avec « moins d’Etat » transformé et recentré, pour « laisser faire » l’initiative privée comme en son temps le préconisait le baron de l’Aulne, Anne Robert Jacques Turgot, bref, la rigueur, alliée à l’entreprenariat : la liberté autant que nécessaire, l’égalité autant que possible.

 

Deux thèses fortement argumentées mais tout aussi incantatoires :

 

– Du côté des adeptes de « la relance éternelle », on envisage la sortie du processus « à une date appropriée », c’est-à-dire très incertaine, laissant en suspens des questions essentielles, qui paiera et quand ? Que feront du « mistigri » les futures générations débitrices contre leur gré ? Etc.

 

– De l’autre, les libéraux ne paraissent pas avoir complètement intégré la soutenabilité sociale des efforts à consentir : l’idée de « mourir guéri dans vingt ans » ne séduit pas les foules et ne rallie que peu de courage politique.

 

Dans les deux cas, on ne voit pas très bien comment la demande solvable future dans l’OCDE pourrait à nouveau l’emporter durablement sur une offre dramatiquement excédentaire (avec des capacités de production mondiales utilisées à moins de 50 %).

 

Sans demande nouvelle forte, pas de croissance et pas de plein emploi.

 

On comprend qu’une réponse à cette mondialisation rampante d’une « dépression modérée longue » ne peut se traiter à un niveau purement local (d’où la vanité des efforts certes louables à l’échelon de la France) mais dans une révolution doctrinale à l’échelle planétaire.

 

A bien y regarder, le monde est aujourd’hui placé dans une situation similaire à celle connue après le deuxième conflit mondial dans une Europe ruinée, un Japon effondré, à la veille de la guerre froide. Le sursaut de lucidité (bien que loin d’être totalement altruiste) a été celui du plan Marshall qui en recréant la solvabilité d’une demande potentielle immense a permis de faire prospérer une croissance économique comme jamais le monde n’en a connu.

 

Aussi il y a sans doute d’autres saluts que de permettre la répétition de cette belle histoire à travers un « plan G20 » à la hauteur des enjeux : un plan Marshall à la puissance 10 (par dizaine de trillions de dollars) pour faire émerger, partout où l’on a faim et soif, une demande solvable.

 

« L’Economie incertaine » ne peut rester sous assistance respiratoire ad vitam : l’alternative n’est en rien celle du malheureux âne de Buridan : entre rigueur et relance, il nous faut faire les deux à la fois : une forme de nouvelle rigueur chez nous dans le monde de la surconsommation maladive et la relance dans le reste du monde.

 

Il est temps d’emprunter la voie du bon sens, (et la politique économique n’est en fait que cela) pour faire de « l’inflation raisonnable » (autour de 3 %) et de sortir sans casse majeure, des politiques accommodantes.

 

Réaliser un nouveau partage entre le monde des consommateurs obèses et les peuples qui survivent dans l’espoir et une impatience grandissante de pouvoir un jour, vivre dignement.
Tel est aujourd’hui, l’immense défi.

 

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[1] Jean-Louis Chambon :  après la récession, l’inflation déflation – Le Cercle Turgot – Eyrolles

[1] Selon le mot de Bernard Marris

[1] Paul Krugman New York Times International – 26.11.2013 « Et si la crise était la nouvelle norme »

[1] Paul Krugman idem

[1] Friedrich Hayek 1974 – Milton Friedman 1977