S’enrichir de sa propre décrépitude ?
Un aspect pour le moins curieux de l’application du principe de juste valeur (fair value) au bilan des banques est leur capacité, en normes IFRS ou en normes américaines, à enregistrer dans leurs comptes de résultat des profits correspondant à la baisse de la valeur de marché de certaines de leurs dettes.
Ainsi, une banque, qui aurait émis une dette de 100 à 6 % qui ne serait plus cotée que 80 du fait d’une hausse du taux de rentabilité exigé par les obligataires pour la détenir compte tenu de la dégradation perçue de sa solvabilité, pourrait enregistrer dans son compte de résultat un profit, non imposable, de 20.
On imagine assez bien que si Lehman Brothers avait pu publier les comptes de son troisième trimestre 2008, ce profit aurait pu être plus important que la perte de dépréciation de ses actifs ! En somme, le failli aurait été profitable et le patient mort guéri !
Sans aller jusque-là, Deutsche Bank a pu, en 2008, gonfler ainsi son résultat de 7,8 Md$ qui, sans cela, aurait été négatif non de 3,9 Md€ mais négatif de 9Md€.
A titre d’illustration, voici les gains sur dépréciation de leurs dettes ainsi enregistrés par les principales banques mondiales en 2008 (en M$) :
Deutsche Bank 7 794
Morgan Stanley 5 600
Citi 4 558
Crédit Suisse 3 151
UBS 2 517
Barclays 2 084
JP Morgan 1 174
Goldman Sachs 1 116
BNP Paribas 1 079
Société Générale 499
L’amélioration de leurs perspectives, depuis le printemps 2009, conduit au phénomène inverse. Comme les dettes se revalorisent en se rapprochant de leur nominal, les banques doivent prendre en compte dans leurs comptes de résultat cette appréciation, cette fois-ci en perte. Ceci a pour effet de réduire les résultats dégagés actuellement et dans le futur de la même façon que ce mécanisme les dopait précédemment.
La plupart des banques ont adopté ce traitement optionnel ainsi que quelques sociétés industrielles qui voulaient ainsi se simplifier la comptabilisation des dérivés incorporés dans des titres de dette.
Hors ce cas de figure limité, l’explication est que des actifs bancaires sont adossés à ces dettes qui les financent et que, comme ces actifs valent moins cher, il est « normal » que les moins-values latentes sur ces actifs qui passent au compte de résultat soient compensées par les moins-values latentes sur ces dettes qui les financent.
Pour notre part, comme notre lecteur l’aura pressenti au ton sarcastiquement incrédule du titre de ce billet, nous pensons qu’il s’agit d’une tartufferie. Que l’actif ait baissé de valeur et que l’on constate donc une moins-value latente en résultat rien de plus normal. Mais de là à en déduire que la banque peut s’enrichir de la moins-value sur ses dettes qui ne fait que traduire une probabilité de faillite plus forte alors qu’elle doit toujours cet argent à ses prêteurs… Est-ce que cela sert le principe de la bonne information ? Nous en doutons. Certes, tout ceci est expliqué en annexe, c’est d’ailleurs là où nous avons trouvé les données du tableau plus haut. Mais quand on sait que le rapport annuel d’une banque ne fait en général pas moins de 300 pages…
Au demeurant, cette application du principe de la juste valeur aux dettes nous paraît aller contre le principe de la continuité d’exploitation. En effet, si la banque est capable d’enregistrer un gain quand sa dette se dévalorise, c’est bien parce qu’il y a des doutes plus ou moins pressants sur sa solvabilité et donc sa continuité d’exploitation.
Pascal Quiry