La révolution numérique est en cours.

Elle est en partie impulsée par les pouvoirs publics, comme le montre cet appel à projets sur le calcul intensif et la simulation numérique. Elle est aussi dopée par l’évolution des capacités de Calcul Haute Performance (HPC) et la possibilité de louer à la semaine ou au mois des serveurs.  La simulation numérique se démocratise et investit nombre de domaines où elle remplace les expériences réelles.

Parallèlement, la collaboration entre les laboratoires de recherche et les entreprises permet de déployer les connaissances au profit des industriels. Par exemple, HydrOcean déploie les travaux de recherche en mécanique des fluides de l’école centrale de Nantes au profit des armateurs et constructeurs navals. Résultats : 10 % d’économie en carburant pour un porte-container. C’est bon à la fois pour les marges et pour la planète !

L’objectif de la simulation numérique est de prévoir ce qui va se passer en fonction d’hypothèses, sur la base d’un modèle mathématique. Dans l’exemple des navires, il s’agit de prévoir le comportement de l’eau autours de coques de formes différentes. Il est ainsi possible de tester plusieurs formes de carène pour un trajet donné, pour retenir celle qui réduira la résistance au déplacement et donc la consommation de carburant.

Or, un des rôles attendus du contrôleur de gestion est de prévoir les coûts de l’entreprise en fonction d’hypothèses d’activité, grâce à un « modèle de gestion », ceci afin d’optimiser les résultats. Si le parallèle avec les besoins de l’armateur est immédiat, le transfert du domaine physique à celui de la gestion n’est pas pour autant si simple.

La simulation numérique en trois étapes

Les logiciels de simulation numérique s’appuient sur trois leviers : modéliser, prévoir et optimiser.

  1. Modéliser
    • En mécanique des fluides, le chercheur va étudier les phénomènes d’écoulements du fluide, l’eau de mer dans notre exemple. Sur la base de sa connaissance du fluide et de ses observations, il va construire un modèle, c’est-à-dire une représentation mathématique de ces flux.
    • En gestion, le contrôleur de gestion va étudier le comportement des flux de trésorerie de l’entreprise. Sur la base de sa connaissance des produits et des charges, les contrats par exemple, et de l’observation des résultats passés, il va construire une représentation mathématique des flux de trésorerie, le modèle économique de l’entreprise.
  2. Prévoir :
    • En mécanique des fluides, l’implémentation du modèle va permettre de calculer ce qui se passe si un élément vient perturber les écoulementsde l’eau, comme une coque de navire.
    • En gestion, l’implémentation du modèle va permettre de calculer les impacts d’un élément qui vient perturber les flux de trésorerie : objectifs de vente non atteints ou croissance externe par exemple.
  3. Optimiser:
    • En mécanique des fluides, le test de plusieurs scénarios va permettre d’identifier la configuration de coque qui minimise les consommations de carburant, tout en assurant la solidité requise pour les conditions de mer très fortes.
    • En gestion, le test de plusieurs scénarios va permettre d’identifier les hypothèses qui assurent le meilleur compromis entre la rentabilité attendue et le niveau risque engagé.

Jusqu’ici, le parallèle fonctionne bien. Vous me direz sans doute que des outils de simulation numérique existent déjà pour le contrôleur de gestion. Il s’agit des outils décisionnels, au sujet desquels les éditeurs et les intégrateurs nous vantent les possibilités de simulation. Mais les  différences entre la simulation de phénomènes physiques et la simulation de gestion nous permettent d’identifier certaines contraintes pour la mise en œuvre d’outils décisionnels.

Le modèle de gestion est spécifique à chaque entreprise …

Les lois fondamentales qui régissent le comportement des fluides sont les même pour tous. Bien que complexe, la mécanique des fluides est un phénomène physique universel. Une équipe de chercheurs peut donc établir un modèle de comportement des flux d’eau de mer utilisable au niveau mondial. Les logiciels qui intègrent ce modèle pourront donc être distribués en l’état et êtres exploitables par les bureaux d’étude des chantiers navals.

A contrario, les lois qui régissent les flux de trésorerie sont spécifiques à une entreprise, elles sont dépendantes des choix stratégiques et tactiques opérés par les acteurs de l’entreprise. Chaque organisation doit donc établir son propre modèle des flux financiers, il est nécessaire de réinventer le modèle mathématique qui servira de base aux simulations de gestion pour chaque nouveau cas.

C’est la raison pour laquelle les éditeurs de solutions décisionnelles n’apportent pas de « solution toute faite », et qu’un travail important de conception, peu visible par la direction,  est nécessaire avant d’obtenir les premiers résultats.

Selon la maturité de l’entreprise quant à la formalisation de son modèle de gestion, le recours à une prestation de consulting peut s’avérer nécessaire pour mener à bien le projet. Il ne s’agit pas ici du consultant en informatique décisionnelle, dont le rôle est de trouver la solution technique adaptée au besoin exprimé dans un cahier des charges. Il s’agit d’un consultant en contrôle de gestion qui accompagnera l’entreprise pour formaliser son modèle de gestion.

… et il est instable dans le temps

Les lois de la mécanique des fluides sont non seulement universelles, mais également stables dans le temps. Lorsque les chercheurs sont amenés à modifier leur modèle, ce n’est pas que les lois fondamentales ont changées, c’est qu’elles avaient été modélisées de façon incomplète et que les évolutions technologiques permettent d’affiner le modèle.

A contrario, les mécanismes économiques de l’entreprise DOIVENT être évolutifs. En effet, les modifications du comportement des clients, les innovations, les choix stratégiques et tactiques des concurrents, imposent à l’entreprise d’évoluer, et donc de faire évoluer son modèle de coûts. Sans cela, elle met sa survie en péril à plus ou moins long terme. Les leviers de création de valeur d’aujourd’hui seront obsolètes demain, car l’entreprise vit dans un environnement incertain au sens défini par Franck Knight dans « Risk, Uncertainty and Profit ».

De plus, l’entreprise elle-même rend son modèle de gestion obsolète par ses propres décisions. Par  exemple, toute action améliorant la productivité engendre une modification de la structure de ses coûts. On a affaire à des boucles de rétroaction : Le modèle de gestion sert à  optimiser les coûts, l’optimisation des coûts rend le modèle de gestion de l’entreprise obsolète et implique sa révision.

La stabilité des lois physiques et l’instabilité des mécanismes économiques entraînent une vision très différence des revues du modèle et de la perception de ces revues.

En mécanique des fluides, la revue du modèle consiste à optimiser les temps de calculs ou à affiner le modèle en fonction de nouvelles connaissances. Nous sommes dans un cycle d’amélioration continue ou chaque amélioration apporte une valeur ajoutée supplémentaire. Grâce au nouveau modèle, l’armateur qui fait appel à HydrOcean pour optimiser la consommation de son navire bénéficiera de temps de conception réduits et de performances du navire améliorées.

En gestion, la nature même des flux financiers change. Le modèle n’est donc pas à optimiser mais à adapter, voire à remettre à plat pour tout ou partie. Nous enchaînons les boucles d’adaptation du modèle aux changements de la réalité, sans véritablement apporter de nouvelle valeur ajoutée à la solution. Le dirigeant n’aura des prévisions ni plus rapides, ni plus fiables, il n’obtiendra que des prévisions adaptées à la nouvelle donne économique. L’investissement réalisé dans l’adaptation du modèle ne permet pas de gagner, il évite de perdre.

Impact sur les projets décisionnels

L’ère de la simulation numérique dans le domaine de la gestion est commencée depuis plusieurs années. Bon nombre de contrôleurs de gestion ont déjà été confrontés à la mise en œuvre d’outils de simulation, avec plus ou moins de bonheur.

Cette comparaison avec la simulation numérique appliquée à un phénomène physique nous rappelle quelques enseignements fondamentaux pour la conduite d’un projet de simulation de gestion, pour l’établissement de budgets ou de plan moyen termes par exemple.

  1. Commencer par le réel, le budget vient après : La simulation étant basée sur un modèle mathématique représentant la réalité, il est nécessaire de bien connaître la réalité des mécanismes de constitution des résultats avant de se lancer dans la simulation. En partant de zéro, il est préférable de commencer par la mise en place du reporting avant d’implémenter l’élaboration budgétaire et le plan moyen terme.
  2. Bien connaitre son modèle de gestion : Le modèle économique étant spécifique à chaque entreprise, il est normal que les éditeurs ne fournissent pas de modèle standard. D’ailleurs, l’éditeur seul ne peut pas non plus proposer une solution personnalisée car il n’a pas la connaissance de l’entreprise. Le recours à un prestataire externe – Consultant Gestion – peut apporter une réelle valeur ajouté pour sécuriser le projet de mise en œuvre d’une solution décisionnelle.
  3. Préparer les évolutions: Enfin, le modèle économique de l’entreprise évolue avec celle-ci, le projet n’est jamais fini. Il est impératif d’adapter le modèle aux changements de l’entreprise. Compte tenu de la faible valeur ajoutée perçue, la direction verra passer d’un œil critique les factures de travaux qui ne semblent pas apporter d’avantage nouveau. Le contrôleur de gestion aura alors tout intérêt à s’appuyer sur les évolutions liées aux choix de l’entreprise (stratégie de diversification par exemple) plutôt que sur les contraintes de l’environnement pour valoriser au mieux les coûts d’adaptation du modèle de gestion, et donc du système décisionnel.