« L’Élysée à St-Denis » : voilà une proposition sérieuse, qui n’émane pas de l’auteur de ses lignes, mais de l’architecte Roland Castro. Roland Castro avait proposé lors de la campagne présidentielle de 2007 de décentraliser Élysée et ministères en banlieue parisienne, afin de préfigurer le Grand Paris. À l’époque, l’idée de transférer l’Élysée à Saint-Denis, ville à l’histoire dense, avait été accueillie avec sympathie, mais avec aussi la condescendance que l’on doit à un artiste, original mais peut être point suffisamment sérieux. Pourtant, cette proposition peut-être réinterprétée à la lumière de la politique économique, sous trois angles principaux : la politique de redistribution, la politique du logement et la réforme administrative.

Considérons la politique de redistribution en premier lieu. Les prix de l’immobilier sont évidemment plus élevés dans le 8e arrondissement de Paris qu’à Saint-Denis. Ce niveau élevé des prix tient basiquement à l’écart entre une offre très étroite et une demande quasiment infinie, tant sont nombreuses les personnes potentiellement désireuses de vivre dans un endroit central, prestigieux, ultra-sécurisé. À l’inverse, la demande est relativement faible à Saint-Denis, car la commune a piètre réputation, notamment en matière de sécurité. Localiser l’Élysée à Saint-Denis contribuerait à rééquilibrer les prix de l’immobilier entre le cœur de Paris et la banlieue. Il est en effet largement admis que la réalisation d’une infrastructure a un effet positif important sur les prix de l’immobilier (la construction du Musée des Arts Premiers, Quai Branly, l’a encore illustré récemment). Voilà qui revaloriserait automatiquement le patrimoine des propriétaires de Saint-Denis alors même que leurs revenus sont certainement inférieurs à ceux des habitants du 8e arrondissement. De la redistribution de Paris vers la banlieue sans le dire.

Voyons la politique du logement ensuite. Le Palais de l’Élysée lui-même pourrait être réaménagé de façon à y créer des logements. Le parc de 1,5 hectare pourrait être dédié à la construction de logements étudiants écologiques. Un bel exemple de mixité en plein Paris. Surtout, le signe de la fin d’une politique malthusienne en matière d’offre de logements. Il faut le dire et le répéter : tant nos grandes villes que nos villes moyennes doivent être densifiées. C’est le seul moyen de relâcher durablement la pression sur les prix de l’immobilier. Certes, le déménagement de l’Élysée et la construction d’un bâtiment fonctionnel et sécurisé en banlieue auraient un coût immédiat pour les finances publiques. Mais ce coût serait amorti par la vente de l’Élysée et les économies de frais de fonctionnement réalisées dans le nouveau bâtiment (chacun sait que l’Élysée est un bâtiment vétuste très peu fonctionnel). De ce point de vue, la réalisation d’un Pentagone à la française lancée par Hervé Morin lorsqu’il était ministre de la Défense montre qu’il est possible de sortir des Palais lambrissés pour moderniser et économiser.

Il est possible que cette proposition fasse ricaner, présentée comme un gadget à l’heure où les défis qui se présentent à la France sont extraordinairement larges : rehaussement de la compétitivité, consolidation des finances publiques, réforme du marché du travail, refonte de la protection sociale… Tout cela est vrai, mais les recherches les plus récentes en économie comportementale montrent qu’une politique publique moderne peut être très efficace en appuyant sur un point particulier, de la même façon que l’on peut soigner une douleur en plaçant une aiguille d’acupuncture sur le bon méridien. Le déménagement de l’Élysée, par sa force symbolique, constituerait un exemple qui pourrait contribuer à redéfinir l’esprit de l’ensemble des politiques publiques dans notre pays pour le prochain quinquennat.