Toute ingénierie comptable est bienvenue, en période de surendettement, pour continuer à se financer sans faire apparaître la dette ou en en différant la constatation comptable. Cela vaut pour le privé comme pour le public. On parle alors de « financements innovants ». L’Etat et les collectivités territoriales y recourent de plus en plus. Les exemples abondent : par le mécanisme des Partenariats Public-Privé, la Puissance publique acquiert des actifs sans emprunter, en échange de loyers à payer, souvent sur des périodes longues, dont le coût présent est en principe constaté au Bilan en comptabilité générale mais Hors Bilan (HB) en comptabilité nationale (pour la « dettemaastrichienne » notifiée aux autorités européennes). Surtout, l’Etat accorde des garanties plutôt qu’un concours direct à une institution financière défaillante.Il se sert ainsi de son HB et n’accroît pas sa dette. S’il est légitime dans son rôle d’assureur en dernier ressort, l’Etat recourt parfois abusivement au HB.

 

L’effet de levier de ce HB reste-t-il raisonnable ? Selon la Cour des comptes, l’agrégat total du HB de l’Etat à fin 2012 s’établit à près de 3.100 Md€, à comparer aux 1.000 Md€ approximativement estimés à fin 2005, soit plus de 150% du PIB. Rien qu’en 2012, le HB a crû de plus de 500 Md€ ! L’explosion du HB de la France (laquelle, à sa décharge, fait figure d’exception en termes de transparence comptable par rapport à ce qui se fait ailleurs dans le monde), pourrait devenir préoccupante pour la crédibilité de notre pays sur les marchés financiers :

 

  • Les garanties financières apportées aux agents économiques ont plus que doublé depuis le début de la crise, passant à près de 1.000 Md€. Rien qu’en 2012, la participation de la France dans les dispositifs de solidarité européens (FESF et MES) s’est traduite par une hausse de 187 Md€ du HB porté par l’Etat.
  • Les seuls engagements de retraite de l’Etat et assimilés, qui s’élèvent à 1.680 Md€, ont augmenté de 54 % en 5 ans, notamment en raison de la baisse du taux d’actualisation retenu (0,35% à fin 2012), et de l’inclusion à leur périmètre d’autres régimes de retraite.
  • La croissance incontrôlée de ce HB, qui s’établit àplus de 150 % du PIB, venant « s’ajouter »(la sommation sèche du HB et du passif est quelque peu réductrice)à une dette publique dépassant 90% du PIB, pourrait constituer un risque systémique pour la soutenabilité des finances publiques, d’autant que :
  • Le HB recensé n’est pas exhaustif. Il n’inclut pas celui des administrations publiques autres que l’Etat, notamment celui des collectivités territoriales et des organismes de sécurité sociale. Sans parler du HB social évalué sur la base de projections financières optimistes.
  • Dans un contexte défavorable, les garanties financières apportées présentent des risques budgétaires non négligeables (DEXIA, CIF, Banque PSA Finance, COFACE, etc.). La Cour constate également que l’Etat a reçu en 2012, en contrepartie des garanties qu’il accorde, une rémunération 4 fois plus faible qu’en 2006, avec donc une protection mal rétribuée, au regard des risques de pertes transférées au public par les entités privées qui en bénéficient.
  • Le HB social, soit 82% du PIB, aurait pu tout aussi bien être intégré au Bilan. L’absence de normes internationales ou européennes de comptabilité publique ne permet pas de clarifier, au plan conceptuel, ce qui relève du Bilan ou du HB. Indépendamment de la question du « droit de lever l’impôt »(le contribuable n’est pas indéfiniment solvable), il existe une porosité entre les passifs certains et probables du Bilan et les passifs éventuels du HB.

 

Où situer les engagements de retraite, moins aléatoires que le reste du HB ? Le Royaume-Uni et la plupart des Etats des Etats-Unis comptabilisent leurs engagements de retraite en provisions et non en HB. Les systèmes de retraite sont différents en France où l’Etat est à la fois employeur, caisse de retraite et financeur (il prend de facto à sa charge les déficits des régimes concernés). Pour ne pas provisionner, certains avancent qu’il n’existe pas « d’engagement garanti par un contrat »(contrairement à l’Allemagne) vis-à-vis des fonctionnaires, mais «un statut», dans les mains de l’Etat. Preuve en est, les réformes à venir (ou l’incapacité par l’Etat à honorer ses « engagements ») seraient susceptibles de réduire le HB social de l’Etat…

 

Contribution originale parue dans Option Finance.