Compte tenu de sa capacité phénoménale à dégager des flux de trésorerie disponible positifs, de l’ordre de 42 Md$ sur le dernier exercice (sic), d’une culture interne très forte qui ne la pousse pas à faire des acquisitions (sa plus grosse acquisition a été inférieure à 1Md$) et d‘une politique de distribution très parcimonieuse (en février 2012, Apple a annoncé vouloir reverser à ses actionnaires sur 3 ans 45 Md$), le groupe dispose fin mars 2013 d’une trésorerie nette de toute dette financière de 145 Md$.

 

Sous la pression de ses actionnaires, Apple a annoncé en avril vouloir leur restituer 55Md$ de plus pour porter les dividendes et rachats d’actions à 30 Md$/an pour les 3 prochaines années, dont une partie significative financés par endettement. On pourra s’étonner de voir un tel groupe s’endetter compte tenu de ses disponibilités de 145 Md$.

 

La réponse tient à une particularité de la fiscalité américaine qui, ignorant le régime mère-fille ou ses équivalents que l’on trouve dans la plupart des pays développés[1], taxe toute remontée de dividendes au taux normal d’impôt sur les sociétés de 35 %. Comme une partie significative des profits de Apple est réalisée et localisée hors des Etats-Unis, une partie significative de sa trésorerie y est aussi localisée ; le chiffre de 100 Md$ a été cité.

 

Apple, comme beaucoup d’autres multinationales américaines dans la même situation, attend que l’administration américaine « fasse des soldes » comme elle l’a déjà fait ponctuellement dans le passé, c’est-à-dire annonce que, pendant une période de temps limité, le rapatriement des bénéfices sur le sol américain ne sera taxé qu’à un taux réduit. La trésorerie non américaine serait alors rapatriée aux Etats-Unis et pourrait alors être redistribuée aux actionnaires d’Apple puisque ce groupe n’en a pas l’emploi de la plus grande partie.

 

En évaluation, il ne nous paraît pas raisonnable de valoriser un euro de cette trésorerie non américaine pour un euro. En effet un euro de trésorerie d’une entreprise ne vaut un euro que si l’entreprise est capable de les investir à son coût du capital ou à défaut de les rendre à ses pourvoyeurs de fonds par rachat d’actions ou dividendes ou remboursement par anticipation des dettes bancaires ou financière. La masse de la trésorerie d’Apple est telle que jamais le groupe ne trouvera dans son secteur d’activité des opportunités d’investissement rapportant son coût du capital. N’ayant pas de dettes bancaires et financières, il lui est assez difficile de les rembourser. . .

 

Reste la restitution aux actionnaires de cette ressource rare que sont les capitaux propres, ici oisifs car placés en trésorerie. Or là, l’absence de régime mère-fille américain fait qu’un coût fiscal significatif est alors à prévoir, 35 % en taux normal, pour que cette trésorerie quitte les coffres des filiales et atteigne ceux de la maison mère. Rappelons en effet que seule la maison mère peut verser des dividendes à ses actionnaires, même si ceux-ci proviennent des profits du groupe dans sa totalité. Il serait alors logique d’affecter d’une décote de 35 % la trésorerie non américaine d’Apple. On pourrait prendre un taux plus faible si l’on estimait probable que le Trésor américain ouvre bientôt une période de soldes avec un taux réduit.

 

On pourrait arguer que, tant que les dividendes remontant des filiales resteront imposés à 35 %, Apple continuera à parquer ses liquidités hors des Etats-Unis, et que cette décote est injustifiée. La situation, d’un point de vue de l’évaluation, nous paraît alors pire puisque dans le contexte actuel de taux d’intérêt très faibles, l’actualisation des produits de cette trésorerie non américaine au coût des capitaux propres d’Apple (taux de rentabilité exigé par l’investisseur sur ses capitaux propres), ferait apparaître une décote bien supérieure à 35 %. Il nous paraitrait en effet difficile d’évaluer autrement les liquidités destinées à être durablement placées à un taux d’intérêt faible sans pouvoir être remontées sans coût fiscal vers la maison-mère.

 

Au-delà de cet exemple contingent, l’évaluateur sera toujours bien inspiré, nous semble-t-il, de comprendre où se trouvent localisées dans les comptes consolidés les disponibilités du groupe. L’idéal bien sûr étant, comme tout directeur financier de groupe le sait, d’avoir une mère riche et des filiales pauvres plutôt que l’inverse ! Sinon il y a un coût, en gestion financière comme en valorisation.

 

______________________________________________________________________________________________________

 

[1] Pour plus de détails, voir le chapitre 42 du Vernimmen 2013.