A-t-on vraiment besoin de la banque publique d’investissement ?
Un beau jour de 1956, un jeune homme, tout efflanqué, arrive en mobylette à l’agence bancaire de la Société Générale de Beauvais. Avec une idée d’investissement dans les panneaux d’affichage. L’outil de production ? Sa mobylette. Il a moins de 21 ans (l’âge de la majorité à l’époque), mais il a été émancipé par ses parents. Décidé et clair dans son projet, et avec le toupet qu’il faut pour demander un prêt à l’austère patron d’agence en face de lui.
L’austère banquier y a cru. Le prêt a été accordé. Le nom du jeune homme, et de son entreprise : Jean-Claude Decaux.
Gérard Pélisson et Paul Dubrule, les fondateurs d’Accor, peuvent raconter une histoire similaire. De même, s’il vivait encore, Joseph Szydlowski, un ingénieur polonais de génie chassé par les nazis. Il arrive à Paris en 1938 sans argent. Aidé par un responsable d’agence bancaire, il fonde Turboméca la même année.
Dans les trois cas, les banquiers en question (de la Société Générale, mais les cas abondent dans d’autres banques) avaient la conviction que leur métier consiste encore et toujours à prendre des risques ; des risques raisonnés et calculés certes, mais des risques quand même.
Qu’en est-il aujourd’hui ? Disons-le, la chance d’un nouveau Jean-Claude Decaux d’obtenir quoi que ce soit de sa banque est proche du zéro absolu. Et cela ne tient pas, même si cela aggrave évidemment les choses, à la crise financière.
Du coup, il faut des palliatifs. C’est pour cela que les pouvoirs publics ont mis en place Oséo, pressent Coface de se développer encore et proposent maintenant, avec une gouvernance improbable, la Banque publique d’investissement (BPI). Mais action / réaction : ce soutien public important au financement des PME ne sert-il pas aux banques pour se désengager du financement à risque ? Le rôle des agences publiques, avec le professionnalisme de leurs équipes, n’est-il pas d’être un exutoire commode quand les banques veulent refuser un prêt ?
« Vous êtes bien gentils, dit à ce stade le responsable à Bercy, ou son ministre. Si le secteur privé abandonne le financement des PME françaises, il est de ma mission de ne pas les laisser tomber. »
Certes, mais de quelle façon ? Tant qu’à être sparadrap, autant que cela colle à la situation. On part ici de deux constats :
Le premier est que les banques, quoi qu’on en pense, restent encore les meilleurs juges et surveillants de la qualité des projets d’entreprise. De telles expertises peuvent être rassemblées au sein d’entités publiques, mais elles existent encore dans les banques et elles correspondent au cœur de leur métier, même si les dirigeants de banque l’ont bien oublié ces deux dernières décennies, tout occupés avec leurs desks de trading à Singapour ou à New-York. De même, les banques restent les meilleurs distributeurs de produits financiers, qu’ils s’agissent de prêts aidés, de garanties, voire de compléments en fonds propres. Si la puissance publique pense devoir prendre sur son bilan des aides aux PME, qu’elle passe par les réseaux bancaires pour distribuer les produits publics. Quand l’assurance-crédit a été en souffrance lors de la purge conjoncturelle de 2009, l’Etat s’est reposé sur ces mêmes assureurs crédit – et non contre eux – pour distribuer, avec un réel succès, le CAP, complément d’assurance-crédit, pour aider le financement du commerce. L’Etat n’a pas cherché à créer une structure publique Théodule.
Le second constat, c’est que l’Etat peut user à la fois de contrainte et d’incitation vis-à-vis des banques pour qu’elles reprennent la route de leur métier traditionnel, qui est la sélection et la surveillance des risques. Il doit mettre son nez impérativement dans le pilier 1 de la réglementation bancaire, la fameuse Tour de Bâle, et notamment agir pour que les pondérations de risque sur les PME, et donc les obligations de fonds propres à mettre en face, ne découragent pas la prise de risque à leur endroit. Il faut regarder l’affacturage, stupidement pénalisé. Et côté contraintes, l’Etat a suffisamment aidé les banques récemment pour qu’il puisse exiger, les moyens de rétorsion ne manquant pas, qu’un certain pourcentage de leurs actifs bancaires soit dévolu au financement des entreprises de taille moyenne ou petite. Où en est-on par exemple avec les dépôts en Livret A qui restent dans les banques (35%), censés être transformés en prêts aux PME, ce qui était la contrepartie de leur non-centralisation à la Caisse des Dépôts ?
Rien n’est décidé encore, par chance. Il faut sans doute rationaliser les moyens d’aide publique à la croissance des PME. Il faut surtout intelligemment aider, contraindre et inciter les banques à refaire leur métier de bonne façon.