Airbnb et ses salariés

Airbnb a eu la touche magique : les propriétaires sont devenus des hôteliers à peu de frais, l’agence immobilière du coin a disparu au profit d’une agence globale et les salariés et actionnaires de l’entreprise sont devenus une grande et belle famille.

Patatrac ! Le virus est venu, les voyageurs sont restés confinés, les ventes des heureux propriétaires se sont taries et, avec elles, les commissions d’Airbnb (de l’ordre de 18% du montant du loyer). Airbnb a licencié un quart de ses employés. Sans aucun doute avec des indemnités de licenciement royales si on les compare à celles qu’a reçu le salarié américain moyen dans les autres entreprises du pays.

Mais voilà ! Beaucoup de salariés se sont littéralement sentis trahis par l’entreprise qui leur répétait qu’entre Airbnb et eux, c’était davantage qu’une histoire de dollars : « nous formons une grande famille ». Irait-on mettre l’Oncle Antoine à la rue au prétexte qu’il n’est plus capable de s’occuper de son jardin ?

Eric Griffin, spécialiste de la Tech pour le New-York Times, écrit à ce sujet :

Un emploi est autre chose que juste un emploi dans la Silicon Valley. L’une des façons dont les start-ups font travailler leurs employés de longues heures est de leur vendre l’idée que leur identité fait partie intégrante de l’entreprise. Airbnb était une entreprise de vrais croyants – la « Airfam ». Mais les licenciements ont amené certains employés à remettre en question cette mission.

Au-delà de la tech, de nombreuses entreprises essaient d’imiter cette culture de travail faite de haute technicité et de haute implication personnelle, mais cela peut se retourner contre elles. Si une entreprise dit qu’elle est une « famille » et non une entreprise purement axée sur le profit, attention, les employés vont l’obliger à se comporter comme une famille.

 

Toupet et vaccin Covid

C’est l’histoire du gars qui a tué père et mère et qui plaide les circonstances atténuantes parce qu’il est orphelin. Jusqu’à peu, c’est lui qui détenait le prix mondial du comble du toupet. Il vient d’être battu par les dirigeants de Vaxart, une jeune entreprise de San Francisco, comptant 15 personnes, qui travaille sur un vaccin contre le Covid 19. À moins que ce soit le comble du mensonge.

Voyons cela. Le gouvernement américain a lancé un programme national de recherche pour un vaccin Covid, dénommé Operation Warp Speed. Évidemment, toute société sélectionnée pour recevoir des subventions du gouvernement voit immédiatement enfler sa valeur boursière. Foin de tout scrupule, les dirigeants de Vaxart ont immédiatement annoncé que leur société venait d’être sélectionnée par ce programme. Tant pis si leur nez a dû s’allonger à l’occasion : elle n’était pas sélectionnée, loin de là, on lui avait juste donné l’opportunité de participer à un test de son pré-vaccin sur des primates.

Mais cela ne pouvait faire que du bien au cours boursier. D’où un montage judicieux : temps un, l’actionnaire principal, le hedge fund Armistice, souscrit des warrants émis par la société pour la modique somme de 0,35$ (le warrant leur donne droit d’acheter des actions à ce prix) alors que le cours galopait déjà vers les 3$ ; temps deux, le hedge fund fait voter par la société que les warrants sont immédiatement exerçables ; temps trois, une fois exercés, le hedge fund revend les actions pour un cours compris entre 6 et 12$, ce qui donne une plus-value proche de 200 M$. Et, temps quatre, pour récompenser (ou mouiller) tout le monde, un programme de stock-options est lancé au profit de l’équipe en place, stock-options qui, contre toute attente, sont elles aussi immédiatement exerçables. Le jeune dirigeant de l’entreprise, Andrei Floroiu, un ancien de McKinsey, empoche à lui seul par ce mécanisme 24 M$ en cash.

À leur défense, soyons justes, ils n’ont pas été les seuls. Des journalistes du New-York Times ont identifié plusieurs opérations de la sorte, pour des ventes de titres s’élevant à un milliard de dollars et des plus-values en conséquence. Pour un milliard, sûr qu’on peut faire des recherches intéressantes en matière médicale. Mais il est peu probable que ce milliard n’aille jamais à l’achat de la moindre éprouvette.

Question : L’autorité des marchés financiers, la SEC, va-t-elle tomber dans les cheveux de tout ce petit monde ? Pas sûr, ils y réfléchissent. Il est courant en effet que le calendrier des levées de capital soit heureusement harmonisé avec le calendrier des bonnes et mauvaises nouvelles, sans que le régulateur veuille trop s’en mêler. Par contre, les cabinets d’avocats se ruent à la recherche des investisseurs lésés (le cours a dégringolé depuis que la combine a été éventée). Et là, gare !, les pénalités peuvent être astronomiques, ce qui fait dire à ces avocats, aux rémunérations elles aussi très copieuses, qu’ils jouent, mieux que les régulateurs, un rôle prophylactique essentiel.

Pourquoi pas. Chacun trouve les raisons qu’il peut de se regarder dignement dans la glace. C’est le cas de M. Floroiu qui vient de déclarer crânement à la presse : « Il est permis de faire du profit à partir des vaccins Covid, tant que vous n’êtes pas un profiteur (as long as you’re not profiteering). »

 

Amazon et ses salariés

Les brèves de comptoir d’aujourd’hui s’en prennent à la Tech. C’est vrai qu’elles font tout pour se faire remarquer. Et surtout, à tout seigneur, tout honneur. Dans un billet du 8 juin, Vox-Fi s’était intéressé au mouvement social des salariés français d’Amazon.

On sait que le virus a été un fantastique booster pour les ventes en ligne, dont au premier chef celles d’Amazon. Les petits commerces de par le monde sont resté fermés sauf pour le commerce de biens essentiels. Croyez-vous qu’on ait interdit pour autant la vente de biens non essentiels ? Pas du tout, à la seule condition d’être vendu par Internet, ou bien, comme cela a été le cas pour les Leclerc et les Carrefour de ce bas monde, qu’il y ait dans le magasin physique des biens essentiels donnant prétexte à laisser le magasin ouvert.

S’agissant d’Amazon, la crise sanitaire se résume en un seul chiffre : 500 Md$, qui est la hausse de la capitalisation boursière de la société, ce qui fait 55 Md$ pour le seul Jeff Bezos.

Tout ce succès repose sur des bons salariés Amazon s’activant dans des entrepôts. Ils n’ont pas été oublié : ils ont reçu au plus fort de la crise un supplément sur leur 15$ horaire. Mais qui a été supprimé début juin. Certains salariés se sont émus, faisant remarquer en plus qu’ils couraient un risque sanitaire : ils ont été virés. Un des dirigeants du groupe s’en est ému lui aussi et a quitté le groupe en guise de protestation, perdant au passage ses stock-options. Le voici qui signe une tribune dans la presse américaine en commun avec le dirigeant d’une fédération syndicale : « Amazon Has Too Much Power. Take It Back. » Leur demande : qu’il y ait comme en Europe un syndicat pour les salariés du groupe aux États-Unis.

Ceci au moment où le Congrès américain met sur le grill (un grill gentil) les dirigeants de Facebook, Google, Apple et Amazon pour voir si les règles d’une bonne concurrence sont bien respectées. Ils pourraient y ajouter les règles d’une bonne gestion sociale.