Assurance-vie : réformer tant qu’il est temps
Le système d’assurance-vie français est bancal. Certes, avec les produits en euros, qui forment environ 80% du marché, les assureurs français remplissent plutôt bien une de leurs missions premières : protéger les épargnants contre les hauts et les bas dans les rendements financiers. En période de rendements élevés, les assureurs accumulent des réserves qu’ils redistribuent – on le voit aujourd’hui – en période de rendements bas. Ils organisent ainsi une solidarité entre générations qui est une source importante de bien-être, comme l’écrit Christian Gollier dans la dernière livraison de la Revue de la stabilité financière. Pourtant, le système souffre d’un énorme défaut : l’immense collecte de 1,5 Tr€, soit les trois quarts du PIB français, est placée sur des produits de dette, essentiellement en emprunts d’État. Par contrecoup, très peu en support actions. L’État français y trouve son compte, ayant pu au cours des vingt dernières années y déverser son endettement croissant. Mais c’est un gâchis pour l’économie française et pour ses entreprises qui ont besoin de fonds propres. De même, on le dit moins, pour ses épargnants qui ont besoin de meilleures rémunérations, et qui, sur la durée longue d’une épargne pour la retraite, pourraient s’en accommoder sans prise de risque excessif.
On parle souvent en économie d’équilibres multiples. L’assurance-vie est ainsi dans une sorte d’« équilibre bas », c’est-à-dire de cercle vicieux, et qu’il lui faut trouver un « équilibre haut ». Le biais du système est que les Français ont été habitués à demander au travers des très populaires contrats en euros (qui garantissent le capital et annoncent en début d’année le rendement garanti) un placement sans risque, ce qui est légitime, mais aussi très liquide, ce qui l’est moins. En conséquence, devant des passifs nécessairement courts, les assureurs retiennent pour leurs actifs des placements également liquides et sûrs, c’est-à-dire des titres de dette publique. Le nouveau cadre réglementaire, dit Solvabilité 2, renforce cette tendance, lui qui impose une meilleure adéquation actif / passif que le faisait la réglementation précédente. Les compagnies d’assurance-vie françaises ont donc depuis une décennie massivement réduit leurs positions en actions sans qu’il faille ici incriminer ni les régulateurs ni les compagnies d’assurance. C’est le cadre fiscal le principal responsable : il libère les produits d’assurance-vie d’une grande partie de leur charge d’impôt au bout d’une période finalement extrêmement courte (8 ans) sachant l’horizon normal d’un placement pour la retraite. Sur cet horizon, les épargnants seraient tout à fait en mesure de placer sur des actifs plus longs et donc mieux rémunérés, et donc sur les actions qui ont sur longue période des rendements beaucoup plus élevés. Elles l’obtiennent au prix d’une volatilité plus grande, mais c’est ici qu’interviennent les techniques de lissage et de répartition inter-temporelle du risque, qui sont la valeur ajoutée des assureurs, particulièrement des assureurs français. Il faut simplement leur permettre d’opérer avec une liquidité moindre du produit.
Les séquelles de la crise financière ouverte de 2008 sont aujourd’hui le test-vérité pour l’assurance-vie. La politique de la BCE a mis les taux d’intérêt quasiment à zéro, ceci en grande partie pour sauver le système bancaire. Mais, après quelques années de ce régime, c’est le secteur de l’assurance qui en subit les conséquences, lui qui pourtant ne porte aucune responsabilité dans les évènements qui ont conduit à la crise. Quand les taux remonteront – et ils remonteront – on peut assister à une fuite soudaine et collective des épargnants qui préfèreront les rendements obligataires courants à ceux des contrats en euros chargés d’anciennes obligations à rendements quasi-nuls. Il faut anticiper ce moment difficile et en quelque sorte organiser dès aujourd’hui un repli maîtrisé.
Une issue est d’accroître dès aujourd’hui l’attractivité de l’autre classe de produits d’assurance-vie, à savoir les produits en unités de compte (UC), n’offrant aucune garantie sur le capital et sur le rendement. Ces produits, plus risqués pour l’épargnant – et donc moins pour l’assureur – sont traditionnellement davantage investis en actifs à meilleur rendement pour l’épargnant, en particulier en actions. La bonne mesure est d’accroître la durée de franchise fiscale des produits en euros, en laissant inchangée, voire en réduisant, celle des produits en UC. Et il faut revenir sur la réforme de 2012 de la fiscalité sur les produits financiers, une réforme mal pensée, qui, entre autres défauts, rend artificiellement trop attractif tous les montages, dont l’assurance-vie, qui permettent de se libérer des impôts sur les produits financiers et pénalisent la détention directe de titres financiers. Il est de l’intérêt des assureurs, et in fine des épargnants, que l’assurance-vie en euros collecte le moins possible dans la période où les rendements sont au plus bas pour aborder plus tranquillement la période de remontée des taux. Il faut un « équilibre haut » pour les entreprises françaises qui méritent de recevoir une part accrue de l’épargne nationale.
Cet article est paru une première fois dans Les Echos, cliquez ici pour le revoir.
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