Dans une tribune au « Monde », l’économiste François Meunier estime que la nouvelle loi travail doit être l’occasion de renforcer le rôle du comité d’entreprise.

 

TRIBUNE. Le projet de refonte de notre droit du travail ouvre une occasion historique pour que les syndicats bougent le curseur en leur faveur, en vue d’une participation plus grande des salariés à la marche de l’entreprise. Il ne faut pas la rater. Et pour cela, il leur faut relier étroitement deux des sujets sur la table de discussion : la fameuse inversion des normes – entreprise, branche ou loi, que la future loi se propose d’étendre dans d’autres domaines que la durée du travail – et la fusion des instances représentatives du personnel (comité d’entreprise – CE, Comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail – CHSCT et délégués du personnel – DP) au sein d’un comité d’entreprise élargi.

Le débat très passionné sur l’inversion se résume ainsi : pour les uns, à privilégier l’entreprise comme lieu de décision, on défend moins les salariés, à cause du poids de la direction à un niveau local et du risque de course vers le bas par la concurrence entre les entreprises. La branche, et s’il le faut la loi, est la vraie protection. Pour les autres, il est illusoire sur la durée de faire toujours venir d’en haut la défense des salariés.

Il vaut mieux une bonne musculature locale, reposant sur des représentants proches de salariés, disposant de véritables responsabilités, traitant de choses concrètes et visibles pour leurs collègues de travail. Et non en renvoyant les négociations au niveau d’un appareil éloigné et souvent bureaucratique, ou au niveau de lois beaucoup trop détaillées.

Or, si la loi El Khomri a fait le choix de privilégier le niveau entreprise, elle a pu oublier qu’une condition de sa réussite passe par un renforcement des pouvoirs locaux des représentants du personnel.

 

Poids politique

Le projet d’un comité d’entreprise unitaire peut être vu comme un tel renfort. Il aura naturellement un poids politique plus grand dans l’entreprise. Il y gagnera en cohérence à deux titres : en regroupant en son sein les fonctions de consultation (le rôle habituel du CE) et de présentation des revendications et réclamations du personnel (le rôle des délégués syndicaux), tout en embrassant en un même lieu la plupart des sujets propres à la vie de l’entreprise (conditions et organisation du travail, salaires, etc.).

Pourquoi refuser par exemple que le CE devienne désormais maître de son ordre du jour, qu’il soit présidé par un salarié, qu’il puisse se réunir sans la présence de membre de la direction de l’entreprise ? Pourquoi lui refuser un accès plus large à l’information, avec faculté d’accès aux documents de l’entreprise sur tout ce qui concerne la gestion du personnel ? Il a droit à une information plus régulière sur la marche de l’entreprise, avec, pourquoi pas, présence d’un représentant du CE au comité d’audit d’examen des comptes et du rapport du contrôle interne. Et pour les grandes entreprises, un auditeur à ses côtés pour l’aider dans la compréhension des comptes.

Si on prend le cas des salaires, ce serait la poursuite d’un mouvement déjà ancien dans les entreprises. Pour beaucoup d’entre elles, il y a bien longtemps que la négociation salariale n’est plus le fait de la branche mais de l’entreprise (les salaires conventionnels négociés au niveau de la branche sont en moyenne, nous dit la Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares (http://dares.travail-emploi.gouv.fr/dares-etudes-et-statistiques/) ), 47 % plus bas que les salaires effectifs observés). Avec un CE unitaire, des représentants choisis par lui auraient délégation pour négocier les salaires lors des rendez-vous annuels, avec des recommandations de branche pour les plus petites entreprises.

 

Logique d’opposition inféconde

Pour les entreprises faisant appel public à l’épargne, il est d’usage que les conseils d’administration aient des administrateurs indépendants, censés représenter l’intérêt social de l’entreprise, avec une certaine indépendance vis-à-vis du management mais aussi des actionnaires. Pourquoi ces administrateurs ne seraient-ils pas auditionnés par le CE, avant d’être approuvés finalement par l’assemblée des actionnaires ?

Les mandats au sein du CE pourraient être limités en nombre de reconduction, pour éviter une certaine fossilisation des représentants du personnel et parce qu’un mandat de représentant doit être davantage vu comme une marche franchie dans une progression professionnelle au sein de l’entreprise. Car il est souhaitable, au-delà de la réforme projetée, que les entreprises acceptent de mieux valoriser les représentants syndicaux – souvent des personnes montrant de vraies qualités de leadership et d’engagement – plutôt que de les enfermer dans une logique d’opposition inféconde.

 

L’exemple allemand

Mis en situation de responsabilité au niveau local, parmi ses collègues de travail, dans l’enceinte organisée qu’est le CE, le syndicaliste quitte sa position protestataire – au demeurant assez futile face au savoir-faire des directions générales, même si elles le paient d’un niveau de confiance dégradé au sein de l’entreprise. Il gagne en responsabilités et donc en sens de la responsabilité.

Ce sont des pistes de réflexion, mais qui sont de pratique courante en Allemagne, s’il faut une fois de plus prendre cet exemple. On a trop tendance en France, chez les partisans du modèle allemand, à réduire la codétermination allemande à la présence de salariés dans les conseils d’administration. Elle passe tout autant par des CE (« Betriebsrat ») influents auprès des salariés et des directions générales. Rendons cela effectif dans le droit français.

Cet article a été initialement publié par Le Monde le 14 juin 2017. Il est repris par Vox-Fi avec due autorisation.