Contre l’affacturage inversé
L’affacturage inversé ou reverse factoring se répand rapidement comme technique de financement des entreprises. Il s’agit d’une tendance négative pour l’économie dans son ensemble, même si elle rapporte à certains.
De quoi parle-t-on ? Je suis un grand groupe dont les fournisseurs, de par leur taille, ne disposent pas de ma facilité d’accès au crédit ni de mon rating. Plutôt qu’ils attendent les 60 jours contractuels pour être payés, je leur propose un crédit dès que mon service d’achat a avalisé la bonne réception de la marchandise, disons 10 jours. S’ils acceptent, je demande à une banque partenaire de leur faire ce crédit sur les 50 jours restant, avec pour elle la sureté que sont les factures avalisées. Au terme des 60 jours, je paie mes fournisseurs qui remboursent la banque et tout le monde est quitte.
Et gagnant aussi, semble-t-il : les fournisseurs reçoivent leur argent dès le dixième jour, ce qui les aide à financer leur exploitation et ceci avec un coût du crédit un peu moindre, puisque c’est moi le vrai débiteur final aux yeux du banquier, disposant d’un bon crédit. Le banquier avance les fonds à un taux nettement supérieur à ce qu’il obtiendrait s’il me prêtait directement. Quant à moi, je me vois rétrocéder une partie du gain du banquier.
Tout le monde gagne, vraiment ? Réfléchissons en effet. La marchandise est reçue, le service des achats a mis son tampon : pourquoi alors ne paierais-je pas directement mes fournisseurs au bout des 10 jours, sans ce frottement coûteux qu’est l’intermédiation bancaire ? Pourquoi le fournisseur, qui a la fin des fins est le créancier, doit-il devenir un temps débiteur pour avoir son argent ? Plusieurs choses interviennent. D’abord, cette commission que me reverse le banquier est souvent supérieure à ce que j’obtiendrais comme escompte pour paiement comptant. Ensuite, cette dette vis-à-vis du banquier m’est comptée comme dette commerciale et non comme dette financière : les analystes ont tendance à l’oublier dans la mesure de mon endettement, ce qui est une perversion à la fois financière et comptable.
Bien sûr, dira-t-on, le fournisseur n’est pas obligé de signer le contrat, même si on voit souvent le donneur d’ordre faire de l’acceptation du schéma une condition nécessaire pour l’accréditation du fournisseur. Ou même des cas où il exige une réduction de prix correspondant à l’accélération du paiement.
Une dernière raison est plus louable, reconnaissons-le. L’affacturage inversé a un gros avantage organisationnel pour un directeur financier : afin de gagner au maximum en période de prêt, les grandes entreprises qui rentrent dans de tels programmes sont forcées de faire travailler plus étroitement le service des achats (qui doit avaliser au plus vite les livraisons et mieux suivre toute la chaîne de commande) avec la direction financière. Deux services qui ont du mal à se parler, alors que le dialogue est historiquement bien meilleur entre direction commerciale et direction financière, parce que travaillé depuis longtemps et qu’on songe plus par habitude à mesurer les performances des vendeurs que celles des acheteurs.
Mais à nouveau, rien n’interdirait que ces performances soient mises au bénéfice direct des fournisseurs. Ne doit-on pas y aider en faisant que cette dette commerciale très particulière soit considérée comptablement pour ce qu’elle est, à savoir une dette financière ? Ne doit-il pas faire partie d’une responsabilité sociale d’entreprise bien comprise de payer son fournisseur dès qu’on est assuré de la régularité de l’achat ? Et que l’escompte demandé au fournisseur soit proche de son propre coût du crédit ? Au lieu de cela, les grands groupes et les banques arbitrent à leur profit les imperfections du marché du crédit. Ils se réjouissent des délais de paiement en ce qu’ils rendent opaques les conditions réelles de paiement.
Et ce faisant, on pénalise l’affacturage direct, cette technique qu’utilise quantité de petites et moyennes entreprises en France : si les meilleurs débiteurs passent par l’affacturage inversé, ce sont les meilleurs risques qui disparaissent du poste client de ces entreprises et qui renchérissent le coût de l’affacturage direct.
Vos réactions
Monsieur Meunier,
Je ne suis pas tout à fait d’accord avec votre approche et je me permets quelques commentaires avec bien sûr la possibilité d’en parler avec vous:
1/ « pourquoi alors ne paierais-je pas directement mes fournisseurs au bout des 10 jours, sans ce frottement coûteux qu’est l’intermédiation bancaire ? ». Quel serait votre intérêt en tant que grand groupe de faire cela et d’impacter votre BFR (d’une avance de 50 jours).
2/ « Pourquoi le fournisseur, qui a la fin des fins est le créancier, doit-il devenir un temps débiteur pour avoir son argent ? » , je ne comprends pas bien votre position à ce stade. Le fournisseur est payé à 60 jours, il n’est jamais débiteur dans une opération de reverse factoring. Par contre lorsqu’il cède sa créance au bout des 10 jours, il n’a plus de risque sur le débiteur.
3/ « D’abord, cette commission que me reverse le banquier est souvent supérieure à ce que j’obtiendrais comme escompte pour paiement comptant ». Au contraire pour le débiteur (en l’occurence vous), le montant que vous allez récupérer est moindre que l’escompte puisqu’il faut payer le coût de financement que fait le banquier.
Nous travaillons sur un modèle d’affacturage inversé participatif qui aura de nombreux avantages et rendra obsolète l’affacturage classique.
Pour mémoire le principal risque dans l’affacturage classique reste malheureusement la fraude et c’est bien cette fraude qui fait augmenter le coût de l’opération.
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