Article provenant de la LETTRE VERNIMMEN.NET, n°136 Décembre 2015 par Pascal Quiry et Yann Le Fur

Discussion avec Thomas Baumgartner, membre du directoire en charge des finances de Mersen, expert mondial des spécialités électriques et des matériaux en graphite. Mersen a réalisé en 2014 un chiffre d’affaires de 730 M€, un résultat opérationnel de 60 M€ avec 6 368 collaborateurs et capitalise environ 450 M€ en bourse en moyenne en 2015.

Comment incitez-vous financièrement les principaux dirigeants de votre groupe ?

Nous avons beaucoup utilisé l’EVA[1] dans les années 2000. La rémunération variable d’une centaine de collaborateurs en dépendait. Mais avons arrêté de le faire, car l’indicateur n’était pas parlant et motivant pour les opérationnels, d’une part à cause des nombreux retraitements effectués dans le calcul  (goodwill, impôts différés actifs ou passifs), d’autre part à cause de l’incidence importante de variables échappant à leur contrôle, comme le coût du capital ou le taux d’impôts.

Nous utilisons désormais donc le ROCE comme indicateur de rentabilité économique et comme un des éléments de la rémunération variable du top management. Pour les autres managers, nous avons préféré fixer des critères de bonus sur le cash-flow opérationnel et la marge opérationnelle, qui sont des éléments contribuant au ROCE mais qui sont davantage pragmatiques pour les opérationnels.

Plus généralement, nous faisons attention à ce que les objectifs contiennent à la fois des critères  individuels (pour 50%) et des critères collectifs. Pour les membres du directoire, la part des objectifs collectifs atteint jusqu’à 70 Comment gérezetraite au Royaume-ts de retraite au Royaume Uni et aux Etats-Unis que prendre des risques vue l’%.

Nous avons enfin des programmes d’incentives à long terme, dépendant de critères de performance internes. Pour les membres du Comité Exécutif, nous avons également ajouté un critère lié à la progression du cours de bourse.

Comment gérez-vous vos engagements de retraite au Royaume-Uni et aux Etats-Unis et vos éventuels déficits ?

Nous avons aux Etats-Unis et au Royaume-Uni des régimes à prestations définies fermés depuis quelques années aux nouveaux entrants. Nous devons toutefois gérer les engagements passés ainsi que les actifs financiers que nous avons placés en contrepartie de ces engagements.

La gestion des  retraites, en particulier dans ces deux pays, est complexe car elle concerne des thématiques très différentes : normes locales de financement, normes comptables locales et IFRS, gestion des actifs. Ceci sans compter l’importance de la dimension ressources humaines. Et chaque pays a sa spécificité. De ce fait, il nous a paru important de constituer un comité retraite avec des compétences ressources humaines et financières. Ceci au niveau du groupe, car les filiales locales sont de facto juges et parties.

Au Royaume-Uni, les règles précises ne sont pas écrites et les trustees des fonds, qui sont externes au groupe, ont un rôle très important. Ce sont eux, par exemple, qui calculent le déficit via leur actuaire, sur la base d’hypothèses qui sont souvent plus conservatrices que des paramètres de marchés utilisés pour la comptabilité IFRS. Autre particularité, une large place est laissée à la négociation entre la société et les trustees, comme la durée de comblement d’un éventuel déficit.

Il est donc très important de garder de bonnes relations avec eux et idéalement de placer un des salariés comme trustee des fonds de retraite, par exemple le trésorier ou le responsable des ressources humaines.

Aux Etats-Unis, les règles sont très précisément établies et ne laissent pas de place à la négociation. Un éventuel déficit doit être comblé en 7 ans. Il est vrai que des mesures prises par le président Obama ont autorisé le recours à des taux d’intérêt plus élevés et ont donc réduit les déficits en norme locale par rapport au déficit constaté en norme IFRS dans nos comptes consolidés. D’où des sorties de cash limitées. Et les trustees ne sont pas des tiers comme au Royaume-Uni, mais des membres de l’entreprise.

Si nous avons fermé ces régimes, nous n’avons pas transféré nos engagements à des assurances comme certains groupes ont pu le faire aux Etats-Unis ou au Royaume Uni. Le coût cash est trop important compte tenu des taux bas d’intérêt actuels, qui sont défavorables, et de la politique extrêmement  prudente des compagnies d’assurances. Nous préférons continuer à porter nos engagements de retraites qui restent raisonnables par rapport au bilan du groupe.

Mersen est l’un des premiers groupes français à avoir eu recours à des placements privés USPP[2] (en 2003, puis en 2011). Qu’est-ce qui vous a frappé dans l’approche de ces investisseurs ?

Leur vision long terme. Ils s’intéressent aux risques d’un crédit sur une durée longue qui correspond à leur horizon d’investissement. Ils posent donc des questions sur les risques technologiques, les positions concurrentielles, les diversifications en terme de clients, de géographiques, de secteurs d’activité, etc. Ce sont des questions qui ne sont pas toujours posées par des banques. Nous avions ainsi obtenu en 2003 des crédits à dix ans dans d’excellentes conditions de financement en 2003 alors que nous étions en perte.

Quelle est votre politique de gestion du risque de change bilanciel ?

Mersen est une entreprise implantée mondialement avec à peu près un tiers de ses ventes en Europe, un autre tiers en Amérique du nord et le solde en Asie.

La dette est à peu près répartie entre les pays comme l’excédent brut d’exploitation, car nous couvrons le risque bilanciel en ayant recours dans la mesure du possible à de l’endettement en devise locale. Ainsi la rentabilité économique et le ratio Dettes bancaires et financières nettes / Excédent brut d’exploitation sont  très peu sensibles aux variations des devises.

Quand il n’y a pas assez de dettes en US dollars par exemple, Mersen tire sur ses lignes en central en dollars, prête ces fonds à sa filiale américaine afin de lui permettre de verser à sa maison mère un dividende, qui est converti en euros et rembourse partiellement une ligne en euros.

Dans les pays à devise exotique, l’endettement local a un autre avantage que la seule couverture bilancielle. Comme il est souvent assorti de taux d’intérêt élevé, il fait prendre conscience du risque spécifique qui s’attache à ces pays et fait passer plus facilement le concept de coût du capital auprès des opérationnels.

Taux fixe ou taux variable, comment choisissez-vous ?

Il y a aujourd’hui une corrélation entre le niveau des taux d’intérêt et la conjoncture économique, voire même le PIB industriel auquel nous sommes en partie corrélés. Les taux sont bas quand l’environnement est défavorable et hauts quand il est bon. Cela nous incite à augmenter notre part variable. Cela étant, nous avons actuellement une répartition fixe variable équilibrée qui provient de notre USPP  à taux fixe de 2011. Les conditions  étaient très bonnes et le coût de portage, à cette date, ne nous a pas incités à le swapper en taux variable[3].

Etes-vous souvent interrogé sur l’état du résultat global (other comprehensive income)[4] ?

Non, quasiment jamais. Chez Mersen on y trouve principalement des écarts de conversion et des écarts actuariels liés aux régimes de retraite. Deux éléments que nous suivions avant la mise en place du résultat global.

Et pour terminer, que pensez-vous des covenants de vos crédits ?

Un bien utile garde-fou vis-à-vis de l’interne !

[1] Pour plus de détails sur l’EVA, voir le chapitre 31 du Vernimmen 2016.

 

[2] Pour en savoir plus sur les US PP, voir le chapitre 25 du Vernimmen 2016 ou La Lettre vernimmen.net n° 107 d’avril 2012.

[3] Pour approfondir le choix taux fixe – taux variable, voir le chapitre 43 du Vernimmen 2016 ou La Lettre vernimmen.net n° 82 de décembre 2009.

[4] Pour approfondir l’état du résultat global, voir La Lettre vernimmen.net n° 108 de juin 2012.