Emmanuelle Cosse, ministre du Logement, s’est réjouie lors de sa conférence de presse du 26 juillet 2016 de l’efficacité des récentes mesures de freinage des loyers. En effet, pour 30% des locataires qui ont emménagé depuis le 1er août 2015, le loyer a baissé. La hausse des loyers pour les non-meublés est de 0,5%, son taux le plus bas depuis 2001. Faut-il s’en féliciter?

Un des éléments clé du dispositif de contrôle, venu de la loi Alur, est le mécanisme d’encadrement du loyer lors d’une reconduction ou une signature de bail en zone tendue, par lequel le loyer est fixé en fonction d’un loyer de référence au m² (LR) et surtout par définition d’un minimum (30% au-dessous du LR) et d’un maximum (pas plus de 20% au-dessus du LR). Il y a 80 zones rien que sur Paris, ce qui donne au total une grille assez fine. Le freinage a donc joué.

Il est pourtant bien trop tôt pour se réjouir, ceci pour une raison simple que connaissent les directions du personnel en entreprise quand ils mettent en place des salaires de référence par catégorie d’employés avec le même mécanisme de tunnel : cela fait monter les salaires !

En effet, le loyer de référence (ou bien le salaire de référence) est calculé comme la médiane des loyers observés dans la zone (ou des salaires observés pour la catégorie) au cours de la période passée, en général une année. Voir ici pour détail du calcul.

Quelle est alors la dynamique des prix dans le cas où le marché immobilier est tendu, comme bien sûr dans la région parisienne ?

Temps 1, certains loyers qui étaient de façon aberrante au-dessus du maximum sont corrigés à la baisse par les propriétaires qui ont peur d’une plainte de leur locataire (on estime toutefois à 30% dans Paris les annonces locatives qui s’affichent encore hors les clous). Cela joue à freiner le loyer médian et confirme la justesse de la mesure.

Mais par la même occasion, c’est la nouveauté du mécanisme, les propriétaires ont le bénéfice de recevoir un signal clair, qui leur échappait autrefois, sur le maximum du prix qu’ils peuvent demander, ainsi que sur le minimum qu’ils auraient tort de négliger. Quand le marché est tendu, c’est une invitation pour ceux des propriétaires qui ne sont pas au maximum de monter leur prix, progressivement bien-sûr en raison de l’interdiction de dépasser la progression légale du loyer de référence, mais de le monter quand même. Pour les nouveaux baux, qui font quand même 15% du parc, soit une durée moyenne de bail de l’ordre de sept ans, il est assez facile de se caler sinon au maximum, du moins au-dessus du loyer de référence.

Et donc, temps 2, quand le calcul du loyer de référence est fait à la période suivante, on enregistre la hausse due simplement à cet effet de calage. Le mécanisme fabrique une convention inflationniste ou plus précisément procyclique. (Petite remarque pour les statisticiens : par chance, c’est la médiane et non la moyenne qui a été choisie pour cette auto-référence. Avec la moyenne, le calage aurait été plus rapide.)

Le phénomène est bien connu des DRH en matière salariale. On utilisait souvent dans les grandes entreprises, avant d’en voir les effets pervers, cet instrument du « tunnel » où chaque salarié est positionné par rapport à la moyenne des salariés comparables, plus ou moins un indicateur de dispersion autour de cette moyenne. Dans les marchés du travail où les salariés ont largement la main, le mécanisme est là aussi inflationniste. Un salarié s’estime en général lésé ou reste insatisfait si son salaire est inférieur à la moyenne de ce qu’obtiennent les collègues à qui il se compare. La connaissance du tunnel envoie, à lui ou à son supérieur hiérarchique qui fixe l’augmentation, les moyens de faire cette comparaison. Comme tout le monde ne peut pas être au-dessus de la moyenne, c’est la moyenne (ou la médiane) qui monte gentiment, ce qui alimente la hausse générale des salaires dans ces professions.

Évidemment, le mécanisme joue symétriquement à la déflation quand le marché est mou et qu’il y a excès d’offre. On l’observait jusqu’à récemment sur le marché immobilier allemand, pour lequel le même type de mécanisme était en place depuis longtemps. Le marché connaissait une offre excédentaire, et il y avait peu d’incitation à se caler sur le maximum. Le boom de l’immigration et le grand dynamisme urbain de Berlin changent aujourd’hui la donne ! Or, c’est de ce modèle allemand que se réclamait Cécile Duflot quand elle l’a introduit dans la loi de 2012, alors que l’excès d’offre ne concernait certainement pas le marché immobilier des grandes métropoles françaises.

Profitant du temps 1 de la mesure, la ministre Emmanuelle Cosse se réjouit à raison. Elle ne sera plus là probablement quand on lui fera observer le temps 2.

 

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Article publié le 13 octobre 2016 sur Telos.