Avec la collaboration de Simon Gueguen, enseignant-chercheur à Paris-Dauphine.

L’étude que nous présentons ce mois[1] utilise une méthode assez peu fréquente dans la recherche académique. Il s’agit d’une enquête sous forme de questions posées à des investisseurs en private equity. La recherche en finance s’intéresse souvent aux comportements des acteurs et aux motivations de ces comportements ; mais elle cherche généralement à conceptualiser ces comportements à partir de modèles, puis à tester empiriquement les prédictions de ces modèles. Les interviews et questionnaires sont plus rares, pour plusieurs raisons. D’une part, ils posent des problèmes de mise en œuvre (risque de taux de réponses trop faibles). D’autre part, la science économique est méfiante quant aux réponses apportées directement par les individus sur leurs attitudes et motivations : sont-ils sincères ? Sont-ils même pleinement conscients de leurs comportements ?

L’article a été réalisé par des chercheurs de premier plan. Ils ont obtenu un taux de réponse significatif, de l’ordre de 50 % : sur un échantillon de 136 fonds de private equity, 79 ont répondu au moins partiellement aux questions (représentant au total 750 Md$ d’actifs sous gestion), et 64 totalement. Ce taux de réponses élevé, associé à une garantie sur l’anonymat et l’agrégation des réponses, donne à l’étude de la crédibilité. Les questions posées sont nombreuses (92) et la lecture de l’article ne présente pas de difficulté particulière (il s’agit d’un compte rendu des réponses obtenues). Nous présenterons donc ici uniquement les résultats les plus intéressants.

La première série de questions porte sur les méthodes d’évaluation utilisées par les investisseurs. Il s’agit du résultat principal : la quasi-totalité des fonds utilisent le taux de rentabilité interne (TRI), alors que moins de 20 % utilisent des méthodes d’actualisation de flux. Lorsqu’ils classent les méthodes par ordre de préférence, là encore le TRI arrive largement en tête. Les prévisions se font sur une durée de 5 ans pour presque tous les fonds (96 %), et la valeur terminale utilisée est le plus souvent obtenue par une méthode des multiples (multiple d’EBE notamment).

Le seuil utilisé pour la décision d’investissement est un TRI de 25 % (réponse médiane, mais la dispersion des réponses est très faible). Ce seuil peut être comparé à la rentabilité exigée sur des actions cotées de risque équivalent ; en utilisant un taux sans risque de 4 % pour l’année 2012 (année principale de collecte des réponses), une prime de risque de 6 % et un beta de 2,3[2], on obtient 17,8 %. Le fait d’utiliser un taux cible plus élevé n’est pas surprenant : il faut justifier les commissions perçues, et afficher une surperformance. Sur longue période, les fonds de private equity surperforment les actions cotées de l’ordre de 4 % par an[3].

En revanche, l’utilisation du TRI plutôt qu’une méthode d’actualisation est contraire aux préférences de la plupart des chercheurs et des enseignants en finance. Les auteurs avancent comme explication possible le fait que les fonds de private equity communiquent davantage sur une performance absolue que relative, ce qui rend le TRI pertinent. De plus, le fait que l’horizon de calcul des flux soit quasiment constant (5 ans) réduit les problèmes méthodologiques du TRI[4].

D’autres questions portent sur la politique financière. Les résultats sont moins surprenants. Le choix de la structure financière relève à la fois du trade-off (comparaison entre les avantages fiscaux et disciplinaires de la dette et les inconvénients liées au risque de stress financier) et du market timing (endettement en fonction de la conjoncture sur le marché de la dette).

Enfin une série de questions porte sur les sources de la création de valeur. Du point de vue opérationnel, la principale source citée est l’augmentation du chiffre d’affaires, importante dans 70 % des opérations. A titre de comparaison, la réduction des coûts n’est identifiée importante que dans 36 % des opérations. Comme le soulignent les auteurs, la plus grande importance accordée à la croissance par rapport à la réduction des coûts témoigne d’une évolution du private equity par rapport à la pratique des années 80.

[1] P. Gompers, S.N. Kaplan et V. Mukharlyamov (2016), What do private equity firms say they do?, Journal of Financial Economics, vol.121, pages 449-476.

[2] Mesuré par U. Axelson, M. Sorensen et P.Strömberg (2013), The alpha and beta of buyout deals, working paper.

[3] Résultat obtenu sur le marché américain contre l’indice S&P 500 par R. Harris, T. Jenkinson et S.N. Kaplan (2014), Private equity performance: what do we know ?, Journal of Finance, vol.69-5, pages 1851-1882.

[4] Pour d’autres raisons de ce choix, voir La Lettre Vernimmen.net n° 117 de septembre 2013.

Article initialement paru dans la Lettre Vernimmen.net n°147 de février 2017, et repris par Vox-Fi avec due autorisation.