Ce graphique, compilé par Deutsche Bank et repris dans le Financial Times, est très instructif à plusieurs égards.

 

Il montre d’abord à ceux qui voudraient que les dividendes et les rachats d’actions ne dépassent pas les investissements, que cette « prétendue règle » n’a jamais été observée depuis 1998, date du début de ce graphique, ce qui jette un doute sur sa validité. En fait, pour nous, il n’y a aucune raison de vouloir limiter les uns au montant des autres. Dividendes et rachats d’actions sont les reflets du passé immédiat, c’est-à-dire de la rentabilité des investissements faits dans le passé. Les investissements sont, eux, une preuve de foi ou d’un pari et de confiance dans le futur. Il n’y a donc aucune raison de les lier ainsi.

Ensuite, on voit clairement les effets de la réforme fiscale Trump[1] qui, de façon intelligente, a mis fin à un système fiscal aberrant, sans régime de non double imposition entre une fille étrangère (sur ses profits rapatriés aux États-Unis) et sa mère (sur les remontées de dividendes de ses filles étrangères). Celui-ci avait conduit les groupes américains à ne pas rapatrier au niveau de la maison-mère les résultats des filiales américaines, les parquant dans des paradis fiscaux (Bahamas, Irlande) en attendant cette réforme mainte fois annoncée et jamais réalisée, jusqu’au jour où, en 2017… Aussi une bonne partie de ces fonds ont été versés aux actionnaires en 2018, sous forme de hausses de dividendes et de rachats d’actions record, mais dont le niveau ne sera pas récurrent.

Ensuite, on mesure lors de la crise de 2008, combien les dividendes avaient pu baisser (divisés par trois en montants trimestriels par rapport au plus haut de 2007), mais encore plus les rachats d’actions (divisés par sept en montants trimestriels), ce qui est conforme à leur caractère encore plus discrétionnaire que celui des dividendes[2]. Les premiers ont mis huit ans pour retrouver leur montant historique, les seconds ne l’ont retrouvé que dans le contexte bien particulier de la réforme Trump.

Enfin, d’autres noteront la stagnation des investissements depuis 2012, à 175 Md$ par trimestre, et l’expliqueront par la hausse simultanée des dividendes et des rachats d’actions. Ce n’est pas notre point de vue, pour quatre raisons.

La première tient à la réduction du nombre de sociétés cotées aux États-Unis et la montée continue des entreprises non cotées financées par les fonds d’investissements (le private equity) [3], qui rend difficile la généralisation à l’ensemble de l’économie.

La seconde tient à la part croissante de l’économie de services, dont les Gafam sont l’illustration éclatante, au détriment du secteur industriel, dont une partie des investissements passe dans le compte de résultat en charges (dépenses de R&D, de publicité, pertes de démarrage) et non plus dans le tableau de flux sous la ligne investissements.

La troisième est que les investissements liés à la fabrication, cf. Apple et Foxconn, sont souvent réalisés hors des États-Unis, en Chine, en Asie du Sud-Est ou au Mexique, et n’apparaissent pas dans ces statistiques.

Et la quatrième est que nous  avons un peu de mal à comprendre pourquoi les dirigeants d’entreprises américaines, aiguillonnés par des investisseurs vigilants, voire activistes, bardés de rémunérations liées à la performance, ne réaliseraient pas tous les investissements créateurs de valeur qu’ils peuvent identifier, alors que le crédit est aisé, peu coûteux et l’endettement peu élevé pour les plus grands d’entre eux (1,2 pour le ratio médian dettes nettes/ EBE[4] du S&P 100 en 2018).

 

[1] Sans faire partie du comité de soutien à la réélection de M. Trump, nous pensons que cette réforme est clairement à son actif.

[2] Pour plus de détails, voir le chapitre 39 du Vernimmen 2020.

[3] Voir l’avant-propos du Vernimmen 2020.

[4] Pour plus de détails, voir le chapitre 37 du Vernimmen 2020.

 

Cet article a été initialement publié dans La Lettre Vernimmen.net n°171 de septembre 2019. Il est repris par Vox-Fi avec due autorisation.