Vox-Fi a le plaisir de recommander trois textes sur cette question, parus sur PS on Point, mais disponibles ici librement.

 

Katarina Pistor, dans un premier texte au titre direct, « Germany’s Constitutional Court Goes Rogue », a l’avantage de bien préciser l’objet du conflit. K. Pistor est une juriste reconnue en droit comparatif de la Columbia Law School. Dans sa lecture, il s’agit de la part de la cour allemande, non pas de condamner la conduite de la BCE en soi – la Cour indique qu’elle est légale – mais plutôt celle de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE). Cette dernière ne s’est pas assurée, quand elle a repoussé une plainte (d’une association de personnalités allemandes) portée devant elle, que la BCE avait appliqué un principe de proportionnalité dans l’avis de constitutionnalité rendu sur le Programme d’achat de titres publics (PSPP dans l’acronyme anglais) entrepris en 2015. En clair, est-ce que la BCE n’en a pas trop fait avec son quantitative easing, et où est l’entité qui doit lui rappeler de rester dans sa stricte fonction monétaire ? On est donc dans le classique conflit de compétences entre juges qui advient fréquemment dans les institutions politiques fédérales établies ou en devenir. La non-proportionnalité des moyens et des fins rend tout l’exercice « meaningless », disent les juges, ce à quoi Pistor se demande « si les juges allemands ont bien pesé la proportionnalité de leur propre action. »

Elle s’inquiète aussi qu’au prétexte de faire vivre la loi fondamentale allemande de 1949 (qui n’est pas une loi constitutionnelle ordinaire au sens où nulle loi à venir peut en changer les termes), elle ouvre un précédent par lequel toute cour de justice de niveau inférieur (selon les traités même de l’Union) pourra venir porter des plaintes individuelles contre le droit de l’Union, au moment même où des justiciables nationaux mécontents de jugement rendus localement à leur égard viennent encombrer l’ordre du jour de la cour européenne.

 

Hans-Werner Sinn (voir : « Germany’s Constitution and European Sovereignty ») est le bien connu et éloquent eurosceptique, qui semble ici dire des choses de bon sens, à la base d’ailleurs de la déclaration récente de Angela Merkel devant son parlement : cet arrêt est une forte incitation pour que les sujets budgétaires soient pris en charge par les États, et non laissés à défaut à ce substitut bancaire qu’est la BCE. Et la décision prise en commun par l’Allemagne et la France d’un fonds de 500 Md€, qu’on pourrait appeler « historique » si l’UE arrive à l’accepter, vient à point nommé en écho de ce jugement de Karlsruhe.

Mais Sinn s’égare quand il compare le PSPP à un sauvetage d’un État face à une faillite par une institution de l’Union, qui n’est pas une union de transfert, comme le rappellent les traités. En effet, le programme agit proportionnellement et a avant tout une vocation monétaire : une action sur les taux longs pour stabiliser les marchés et limiter le risque de déflation. Il n’y a pas au premier ordre d’effets de transfert. On se demande : que dira Karlsruhe devant les programmes de sauvetage actuels, qui sont quant à eux clairement redistributifs.

 

Daniel Gros, dans le troisième article (« The EU’s Nullification Crisis »), relève qu’il est absurde de vouloir cantonner la BCE dans un strict rôle monétaire, parce que toute politique monétaire a peu ou prou des conséquences budgétaires. Son jugement est très politique : c’est un problème allemand avant tout, il suffit que la BCE fasse des photocopies bien fichues de ce qu’elle a expliqué maintes fois et qu’elle envoie ça poliment à Karsruhe. Prenant le précédent du conflit de 1820 entre la Caroline du Sud et l’État fédéral (un conflit de souveraineté de nature en effet très similaire), sa conclusion est : les juges allemands vont plier.

 

A lire donc.

 

Cet article a été publié sur Vox-Fi le 21 mai 2020.