Les études empiriques sur la création de valeur en private equity posent de nombreux problèmes techniques du fait du manque d’informations (en comparaison avec les sociétés cotées) et de la difficulté à estimer la valeur de manière continue. Un certain nombre de travaux ont été réalisés sur les acquisitions d’entreprises non cotées par des entreprises cotées, les données des secondes aidant à estimer la valeur des premières. Bien plus rares sont les travaux portant sur l’acquisition d’entreprises non cotées par le private equity. Pourtant, ces opérations sont énormément plus nombreuses que les acquisitions cotées-non cotées (d’un facteur 30 !). L’article que nous présentons ce mois[1] relève ce défi. À partir de données de l’administration fiscale sur un échantillon de 288 acquisitions réalisées aux États-Unis entre 1995 et 2009, l’article montre que la principale source de création de valeur dans ces opérations est la capacité de l’acquéreur à faciliter le financement de la croissance de la cible.  

Les données collectées permettent de mesurer trois sources de création de valeur : l’augmentation des taux de marge, la facilitation des opérations de croissance créatrices de valeur grâce au relâchement des contraintes de financement, et l’optimisation de la structure financière. Malheureusement, les auteurs ne peuvent pas mesurer de façon crédible le changement de rentabilité de la cible ni la comparer à la rentabilité exigée, ce qui constituerait l’indication la plus directe de création de valeur. En effet, les actifs de la cible sont revalorisés au moment des acquisitions [2], si bien que la variation observée de la rentabilité comptable est difficilement exploitable. 

Concernant les taux de marge, l’étude montre que l’amélioration se produit dans les deux années qui suivent l’acquisition. En moyenne, le taux augmente de près de deux points de pourcentage dans cette période. L’effet est un peu plus élevé pour les entreprises moins profitables ex ante, mais il est observé aussi pour les plus profitables. 

Le résultat le plus spectaculaire concerne l’amélioration de la croissance des cibles, en lien avec le relâchement des contraintes de financement. Deux ans après l’acquisition, la croissance des ventes est 62 points de pourcentage supérieure dans les entreprises acquises (en comparaison avec la croissance sectorielle). Ce résultat inclut à la fois de la croissance interne et externe. Si les auteurs ne peuvent pas estimer la part de chacune de ces composantes, ils remarquent que des opérations de croissance externe ont lieu dans 41 % des cibles l’année suivant l’acquisition. Même si des explications alternatives sont possibles, cette observation corrobore la théorie de l’acquisition créant de la valeur en permettant de financer des opérations elles-mêmes créatrices de valeur. 

Enfin, l’analyse porte sur la structure financière des cibles. Les entreprises non cotées sont parfois considérées comme sous-endettées en raison d’une difficulté d’accès au crédit. En conséquence, elles ne profiteraient pas suffisamment de l’avantage fiscal de la dette. Sur ce point, les résultats sont moins convaincants. D’une part, la création de valeur liée à une hausse de la part de dette dans la structure du capital est faible ou inexistante. D’autre part, en l’espèce, si l’acquisition se traduit par une légère hausse du taux d’endettement, celle-ci est trois fois plus faible que dans des acquisitions par des sociétés cotées. En conséquence, ce n’est pas de l’optimisation de la structure du capital, si tant est que celle-ci soit possible pour réduire le coût du capital, que provient la création de valeur dans les acquisitions d’entreprises non cotées par d’autres entreprises non cotées. 

En cohérence avec les résultats précédents, les auteurs observent que les entreprises cibles se situent principalement dans le premier et dans le dernier quintile en termes de taux de marge. Autrement dit, les entreprises les moins profitables sont ciblées parce qu’il existe un potentiel de création de valeur via l’amélioration des marges, et à l’autre extrémité les entreprises les plus profitables sont ciblées parce que le relâchement de leurs contraintes financières facilite leur développement. Les entreprises non cotées les moins ciblées par ces rachats sont donc celles dont la profitabilité se situe proche de la médiane. 

Si le private equity rencontre un grand succès depuis un peu plus de vingt ans[3], les contraintes de financement qu’il entraîne peuvent encore constituer un frein au développement des entreprises concernées. Le grand nombre d’acquisitions parmi ces entreprises s’explique, au moins en partie, par le relâchement des contraintes financières pesant sur les entreprises non cotées qui présentent un fort potentiel de croissance. 

 

[1] J. B. Cohn, E. Hotchkiss et E. M. Towery, « Sources of value creation in private equity buyouts of private firms », Review of Finance, 2022, vol. 26-2, pages 257 à 285.

[2] Voir le chapitre 7 du Vernimmen 2023 sur ce point.

[3] Voir le chapitre 43 du Vernimmen 2023.

 

Avec la collaboration de Simon Gueguen, enseignant-chercheur à CY Cergy Paris Université.

Cet article a été initialement publié dans la Lettre Vernimmen.net n°206 (mars 2023). Il est repris par Vox-Fi avec due autorisation.