Ce qu’il y a de sympathique avec la crise financière, c’est que chacun de nous fait de sacrés progrès en finance (mieux vaut tard, et même trop tard, que jamais !). Voyons ce tableau qui donne les taux de rendement sur emprunts d’État dans trois pays « chauds » de la zone euro – Grèce, Portugal et Irlande – et qui les compare avec les taux de rendements sur le solide Bund allemand (on ne les prend qu’à compter de l’échéance 2 ans, le marché étant très perturbé en deçà, peut-être en raison d’interventions de la BCE).

Taux des emprunts d’État (20/4/11)
2 ans 5 ans 10 ans
Grèce 21,05 % 19,69 % 14,69 %
Portugal 10,31 % 10,96 % 9,31 %
Irlande 9,91 % 10,76 % 10,17 %
Allemagne 1,85 % 2,67 % 3,32 %

Les écarts avec le taux allemand sont incroyablement hauts, nous le savons, ce qui mesure l’ampleur de la crise sur la dette euro périphérique.

Ce qui est bizarre à première vue, c’est que les taux de rendement grec, et à un moindre degré ceux du Portugal et de l’Irlande, décroissent avec la durée de l’emprunt. Or, on croyait tous avoir appris que le risque de défaut est croissant avec le temps : mieux vaut aujourd’hui porter du papier grec sur 2 ans que sur 10 ans, notamment si le défaut ne devait advenir que la troisième année. Sans compter qu’en général la courbe des taux est croissante, comme on le voit sur les taux du Bund allemand.

Il y a donc quelque chose. L’histoire est que le marché semble anticiper un défaut très rapide sur la dette grecque, accompagnée – mais tout cela est très flou – d’un plan de restructuration organisée peut-être sur le modèle des défauts sur la dette souveraine latino-américaine dans les années 1990 (Plan Brady), par exemple avec une décote (haircut) de disons 30 % par rapport au pair sur tous les emprunts. Dans ce cas, une perte de 30 dans deux ans coûte beaucoup plus cher que 30 dans 10 ans, à cause de l’actualisation. Le taux de rendement de l’emprunt est donc plus élevé à 2 ans qu’à 10 ans1.

On le vérifie en regardant non les taux, mais le prix des obligations grecques : 76,4 % du pair à 2 ans, 65 % à 5 ans et 61 % à 10 ans. La décote est à peine plus forte à 10 ans qu’à 5 ans, malgré le risque croissant.

Leçon 1 : Le marché pense que la restructuration est assez proche sur la Grèce et qu’elle s’accompagnera d’une décote forfaitairement négociée. C’est moins le cas sur le Portugal ou l’Irlande.

Leçon 2 : Une inversion de la courbe des taux pour un souverain fragile est un indicateur précoce de défaut (ou plus précisément de restructuration dans le cas d’un souverain de la zone euro). Bien entendu, pour un Etat solide, noté AAA, la courbe des taux peut s’inverser pour d’autres motifs : une anticipation de baisse des taux futurs par exemple, ou bien, comme l’a connu le Royaume-Uni pendant longtemps, un marché financier où les emprunteurs privilégient abusivement les maturités courtes ou les emprunts à taux variable.

Leçon 3 : Les marchés ont leurs folies, bien fol qui s’y fie. Ce n’est pas forcément le plus malin aujourd’hui de pousser la Grèce à faire défaut, comme l’argumente intelligemment Jacques Delpla dans une tribune des Echos du 20 avril.

1. Un autre schéma de restructuration, moins drastique, consiste à différer pour tous les emprunts l’échéance de remboursement. Là encore, à cause de l’actualisation, le poids relatif est plus lourd sur un papier court que long.