Le graphique ci-dessous donne l’image d’un joli canard, qu’il est intéressant de décrire.

voxfi graf du 16-02

Il s’agit des livraisons nettes d’électricité par les producteurs californiens, enregistrées par l’ISO, organisme régulateur de l’électricité dans cet État. Alors qu’en 2012, le profil de la consommation intra-jour était raisonnablement bosselée, un léger pic arrondi vers les 9h du matin et un autre pic tout aussi arrondi vers les 19h le soir, la courbe a brutalement muté à compter de 2014 : une brutale baisse le matin dès après 9h, le minimum étant atteint à 14h, puis une remontée violente avec un pic très marqué à 20h le soir. Les prévisions pour 2020 accentuent encore le phénomène. Cela dessine une courbe que les professionnels de l’énergie commencent à appeler là-bas le dos du canard (« the Duck Curve »). Les médias spécialisés en discutent fréquemment, par exemple ICI. Que se passe-t-il ?

L’explication est simple : les ménages californiens se sont fortement équipés, et le seront de plus en plus, en panneaux photovoltaïques (PV), placés sur le toit ou ailleurs. Aux heures ensoleillées, ces panneaux produisent à plein une électricité que, selon la régulation californienne d’encouragement à l’énergie solaire, les producteurs sont tenus de leur acheter à un prix convenu. Or, le cœur de la journée n’est pas le moment de la journée où l’on consomme le plus d’électricité ; c’est le matin ou le soir, quand les capteurs solaires sont à la peine. Résultat, le boom de production PV en milieu de journée implique un creux des livraisons par les autres sources de production. Il advient même qu’en milieu de journée, le prix marginal de l’électricité devienne négatif !

Pour s’en persuader, un second graphique, toujours en provenance du site de l’ISO, montre la production intra-jour selon les modes de génération électrique, ceci durant la journée du 28 octobre 2015. Le profil du PV est une grosse bosse jaune en milieu de graphique.

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Il est fascinant d’abord de voir à quelle vitesse le photovoltaïque se fraie sa route pour supplanter le fossile. La politique publique menée en Californie (ainsi que dans beaucoup de pays), qu’on appelle le FIP (pour Feed-In Tariff) est extrêmement efficace. Elle consiste à garantir par des contrats long terme aux agents privés qui produisent du PV et de l’éolien un rachat de leur électricité par les compagnies de distribution électrique.

Mais ce succès embarrasse en même temps. Il est en quelque sorte trop efficace et donc générateur d’effets pervers. Il urge de faire pencher la tête du canard, ou de « lui apprendre à voler », c’est-à-dire faire en sorte que la production PV se reporte davantage vers les heures du soir et moins au cœur de la journée. Une issue possible consiste à introduire une tarification qui encourage les gens à orienter leurs panneaux solaires vers l’ouest, là où le soleil se couche : le rendement énergétique sera moindre, mais c’est le moment où l’électricité produite est le plus utile. Les politiques de type FIP – voir ci-après pour l’énoncé des politiques alternatives – doivent évoluer et abandonner le principe d’un tarif fixe selon l’heure de la journée, pour adopter une modulation intra-jour du tarif. Accessoirement, cette mesure aidera à investir dans des technologies de stockage associées au solaire.

D’autant plus que la politique du prix fixe garanti est aujourd’hui très pénalisante pour les ménages les plus modestes alors qu’elle bénéficie aux plus riches. En effet, seuls les ménages aisés (qui de plus ont une maison individuelle où il est possible d’installer des panneaux solaires) ont les moyens d’une telle installation. Ils reçoivent donc un revenu important au moment où ce qu’ils produisent est en partie inutile, ceci financé par un tarif qui prend en compte le cout moyen sur la journée, payé par l’ensemble des consommateurs, dont en particulier les consommateurs pauvres qui n’ont pas accès à ce revenu.

C’est donc une deuxième raison de passer à une politique de prix variable, par exemple de facturer un prix bas jusqu’à un certain niveau de consommation électrique, et un prix plus élevé au-delà. On corrige ainsi l’effet redistributif pervers du système des prix garantis.

Enfin, d’autres politiques d’aide aux énergies non renouvelables sont possibles et d’ailleurs utilisées en pratique dans certains pays. Les dégrèvements fiscaux sont un moyen. Peut-être plus efficace l’instrument qu’on appelle le RPS (pour Renewable Portfolio Standard), une politique consistant à intervenir cette fois-ci non directement sur les prix de l’énergie, mais sur les quantités produites. Par cet instrument, on oblige les producteurs d’électricité à avoir un pourcentage minimum de production d’énergie alternative, solaire ou éolien. La Suède l’utilise fortement. L’obligation est associée à la mise en place de certificats verts, qui sont des bons cessibles sur le marché au cas où le producteur dépasse son quota, les bons étant achetés par les compagnies qui n’ont pas atteint ce même quota. On relève qu’une telle politique est une introduction utile par sa pédagogie à l’introduction plus généralisée de droits d’émission de carbone, dont on sait l’efficacité en matière de lutte contre le réchauffement climatique.

On recommande l’article suivant “The Main Support Mechanisms to Finance Renewable Energy Development”, pour se mettre au courant des différents instruments d’une politique d’incitation aux énergies vertes. Le débat est très actif entre les économistes à ce sujet. Une des conclusions – qui toutefois ne fait pas consensus – est que les politiques de type FIP sont excellentes pour promouvoir rapidement le passage au solaire, mais qu’au bout d’un temps, il convient de passer à d’autres instruments, notamment le RPS, pour des aides plus durables et moins perturbatrices du marché.

Suite notamment au fameux Rapport de l’Inspection des finances (dit rapport Charpin) de septembre 2010, la France avait fortement réduit ses aides de type FIP à l’énergie solaire, à la fois en raison du cout budgétaire de cette politique, et du poids sur la balance commerciale du pays de l’importation (en provenance de Chine) des panneaux PV. Il était judicieux de recommander, sachant les particularités françaises en matière d’énergie, et notamment la place qu’y occupe le nucléaire, une stratégie de relative attente en matière de PV, le temps que la technologie évolue et que les couts de la filière baissent. Cela semble être le cas aujourd’hui, et il est sans doute temps de considérer une politique plus allante, tirant aussi parti des progrès faits dans la mise au point d’instruments de politique économique efficaces.