Cet article est paru dans la lettre Vernimmen n°133 août 2015.

Vous cherchiez une lecture pour finir l’été ? Si vous avez quelques semaines, vous pouvez vous attaquer aux rapports annuels des sociétés du CAC 40, un bel opus de plus de 14 000 pages (soit 6 fois plus long qu’A la recherche du temps perdu, 10 fois Le seigneur des anneaux, 12 fois le Vernimmen 2015 ou 2016…). Il aurait fallu à notre lecteur environ 3 fois moins de temps il y a une vingtaine d’années pour se délecter de ces rapports annuels. On a vu en effet passer le rapport annuel moyen de quelques 100 pages à 350 pages aujourd’hui. Le passage aux IFRS (et l’évolution de ces normes) est certainement responsable d’une part importante de cette augmentation mais le nombre croissant de données non comptables à intégrer (données environnementales, corporate governance) a également joué dans le même sens.

Il n’en fallait pas tant pour qu’une part importante des utilisateurs naturels de ces documents (investisseurs, analystes, banquiers, …) se considèrent maintenant exonérés de la lecture de ces rapports pourtant toujours très instructifs. Il est vrai que nombreux sont ceux qui avaient démontré dès les années 2000 que la lecture des rapports annuels était optionnelle pour eux, souvent à leurs dépens au demeurant.

Au-delà des rapports annuels et autres documents périodiques, les entreprises cotées (et en particuliers les grands groupes) disposent aujourd’hui de nombreux moyens de communication à commencer par leur site internet, les réseaux sociaux ou encore les présentations aux analystes.

La qualité, quantité et l’ordonnancement de l’information périodique écrite varie d’une entreprise à l’autre. Le niveau d’information périodique est très variable. Cette disparité pourrait s’accroître alors que la diffusion d’information trimestrielle n’est plus obligatoire depuis fin 2014. En termes d’information annuelle, au-delà du document de référence ou son équivalent, certains groupes publient un rapport annuel, d’autres un rapport d’activité et de développement durable, ou encore un rapport sociétal, un rapport environnemental et social…

La quantité d’information disponible est donc aujourd’hui à la fois beaucoup plus importante et plus difficile à saisir et à synthétiser.

Cette surabondance d’information est un sujet pour les autorités réglementaires. Dès 2012, l’ANC avait publié des recommandations sur le volume d’annexe en normes IFRS. En 2013, l’IASB a lancé le projet Disclosure Initiative qui a abouti dans un premier temps à la modification de l’IAS 1 mais qui doit se prolonger[1]. L’AMF a publié en juillet 2015 un « Guide sur la pertinence, la cohérence et la lisibilité des états financiers »[2] .Ces recommandations sont focalisées sur les états financiers mais ne traitent pas des informations extra-comptables.

Un nouvel outil de communication des entreprises est en train d’émerger : le reporting intégré. C’est un document de synthèse permettant d’appréhender le modèle économique de l’entreprise, (en pratique les grands groupes), et donc son mode de création de valeur.

Le développement de ce projet s’est (très) structuré autour de l’International Integrated Reporting Council[3] (IIRC) et d’entreprises partenaires. La démarche se veut consensuelle avec la mise en avant de propositions et la publication des réactions à ces propositions. Un certain nombre de grands groupes se sont engagés au niveau mondial dans la réflexion, quelques-uns ont publié leurs premiers rapports Intégrés (ENI, Akzo Nobel, Novo Nordisk, …). En France Engie a publié en 2015 son premier rapport, d’autres y travaillent (Danone).

Les deux objectifs du reporting intégré sont :

  • d’une part d’inclure dans un seul et même document des données financières, économiques, des éléments de stratégie et des engagements et réalisations sociales et environnementales,
  • d’autre part d’aboutir à un document synthétique et donc court.

A titre d’exemple, le document d’Engie (Rapport intégré 2015) comporte 50 pages réparties en 8 chapitres :

  • Vision
  • Enjeux
  • Stratégie et objectifs
  • Analyse des risques
  • Gouvernance et processus de décision
  • Performance
  • Indicateurs
  • Perspectives

Très œcuménique, le rapport se veut donc utile à un très large éventail d’intervenants : investisseurs, partenaires, clients, fournisseurs, autorités. Les apôtres de l’<IR>[4] mettent en avant qu’au-delà de l’information des parties prenantes, la démarche permet également de décloisonner l’entreprise et d’imposer un dialogue entre les différentes équipes (RH, Finance, CSR). Mais à vouloir tout regrouper de manière synthétique, ne perd-on pas l’intérêt pour la plupart des lecteurs ? L’<IR> n’est-il alors qu’une brochure de « chiffre clés » ou de « faits essentiels » qui existait déjà mais dans un format plus moderne ?

Certains mettent en avant le formalisme des rapports annuels pour éviter de les ouvrir. Ou pour se contenter de documents plus synthétiques. Ce n’est certainement pas une solution ! Les rapports intégrés ne peuvent être considérés par la sphère financière que comme un complément au document de référence. Les promoteurs de l’<IR> le revendiquent d’ailleurs comme tel. C’est donc bel et bien un rapport de plus !

L’intérêt du rapport intégré semble donc résider dans son approche de la stratégie de l’entreprise mais alors soit le document reste très général et il ne sert alors pas à grand-chose, soit il en dévoile plus et il risque alors d’être très utile à la concurrence. Mais n’est-ce pas là l’équilibre à trouver de toute communication financière ?

Notons que nous sommes dans un monde à deux vitesses (voire trois) : les sociétés ayant émis un instrument coté (action ou obligation) diffusent une information pléthorique alors que les sociétés non cotées protègent jalousement leurs informations. C’est là bien un frein à la cotation ou à l’émission d’obligations.

Le marketing autour de l’<IR> est important ce qui nous rend naturellement méfiant… il nous rappelle un peu celui autour de l’EVA[5] qui avait eu ses afficionados avant de retomber dans l’oubli ! Si le concept d’<IR> prend effectivement, il va certainement générer sa propre économie (terminologie politiquement correcte pour dire des coûts) : consultants (les grands cabinets comptables avancent déjà leurs pions), mobilisation de ressources internes à l’entreprise. Néanmoins, l’intérêt exprimé par un grand nombre de grands groupes indique que les entreprises y voient une utilité et donc un intérêt potentiel (meilleure valorisation de leur titre, plus grande adhésion des employés et autres stakeholders). Ne soyons donc pas catégoriques. Le temps dira si ce document est utile à certains, s’il viendra se substituer à d’autres ou se rajouter. Une chose est sûre, pour l’analyste financier, le document de référence restera le document essentiel !


[1] http://www.ifrs.org/Current-Projects/IASB-Projects/Disclosure-Initiative/Pages/Disclosure-Initiative.aspx

[2] http://www.amf-france.org/technique/multimedia?docId=workspace://SpacesStore/867e30e0-807f-437c-af31-ee2686d81c4e_fr_1.0_rendition).

[3] IIRC, http://integratedreporting.org/

[4] Integrated reporting bien sûr !

[5] Voir le chapitre 31 du Vernimmen 2015