On s’est beaucoup intéressé ces derniers temps au revenu des 1 % du haut, une population très peu homogène et assez mobile regroupant des entrepreneurs à succès, des banquiers surpayés et des héritiers rentiers. Une autre perspective s’ouvre quand on regarde dans l’autre direction, par exemple le revenu des 50 % du bas, c’est-à-dire le revenu additionné des personnes adultes allant des revenus les plus bas jusqu’au revenu médian, divisé par leur nombre (un couple vaut deux personnes). C’est une notion qu’il faut distinguer de celle de revenu médian, qui ne s’intéresse qu’à la personne ayant 50 % de la population plus riche (ou moins riche) qu’elle. Cela regroupe donc les gens très pauvres jusqu’à la personne touchant ce revenu médian. Le revenu en question regroupe tous les types de revenu : salaires et revenus de la propriété, mais avant impôt et redistribution, une notion donc très proche de celle de revenu national ou de PIB.

Le graphique qui suit trace un tel revenu pour la France et les États-Unis entre 1962 et 2014. Il recèle peut-être une clé du récent vote Trump et en tout cas une philosophie sociale très différente dans les deux pays.

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(La série pour la France est exprimée en dollars de l’année 2014 sur base d’un taux de change de 1,22 dollars pour un euro, qui est le taux de change dit de parité de pouvoir d’achat tel que le calcule l’OCDE.)

La réalité que montrent ces courbes est celle d’une platitude du revenu médian aux États-Unis sur longue période. Une forte hausse dans les années 60 (le welfare state de Johnson), un fort déclin au moment de la récession du début des années 80, une montée jusqu’à un point haut dans les années Clinton, suivies d’une stagnation dans les belles années qui ont précédé la crise de 2008, signe qu’elles ne semblent pas avoir profité à tout le monde, et un fort retrait depuis qui ramène ce revenu médian au niveau qu’il avait en 1968, signe aussi que les effets de la crise se font surtout sentir en bas.

La courbe française montre une progression, et assez régulière. On y observe la stagnation des années 80 (le « franc fort »), une progression sensible au cours des années 90 jusqu’à la crise de 2008, et une stagnation, voire un repli depuis cette crise. Mais en tout cas, surprise, le niveau de revenu que connait la moitié basse de la population est supérieur en France à celui des États-Unis, alors que le revenu national par tête est environ 30 % supérieur aux États-Unis qu’en France.

Ce graphique est tiré d’un récent papier de Piketty, Saez et Zucman (Distributional National Accounts: Methods and Estimates for the United States), qui est une première, et au vrai une réelle prouesse statistique : des comptes nationaux, exhaustifs comme le sont les comptes nationaux, mais éclatés par tranche de revenu.

Le papier est centré sur les États-Unis, et on y apprend plein de choses intéressantes :

  • La redistribution qu’opère le gouvernement, via les impôts et les aides sociales, corrige assez peu cette évolution, à l’exception de la redistribution en faveur des personnes âgées, les fameux Medicaid et Medicare. Les auteurs concluent de cette inefficacité qu’il est peut-être temps de la remplacer par des politiques qui agissent sur l’éducation, le capital humain, et le pouvoir de négociation, et non sur la redistribution au sens classique.
  • La divergence qui s’est installé entre les 50 % du haut et les 50 % du bas relève principalement des revenus financiers, ce qui pose également la question de l’accès au capital financier et immobilier. Si le rôle des salaires a été important au sommet des revenus dans les années 80 et 90 (les « working rich »), il diminue depuis et est remplacé par le revenu issu des actions et des obligations.
  • Intéressant, si l’on tente de séparer par genre le revenu, on trouve qu’un homme entre 20 et 64 ans gagnait 3,7 fois le revenu d’une femme dans la même classe d’âge, quand ce chiffre n’est plus que de 1,7 fois aujourd’hui, ce qui illustre la montée de l’activité féminine et la moindre contribution du revenu masculin dans le ménage. Syndrome du « white middle-aged male » qu’ont pointé du doigt les analyses post-élection Trump ?

Et, second graphique pour le prix d’un, la part du revenu national revenant au 50 % du bas et au 1 % du haut.

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Cet article a été publié sur Vox-Fi le 11 janvier 2017.