L’objet de l’histoire qui va suivre est de donner une approche sur la valeur optionnelle et sur l’arbitrage. Cette leçon apporte des éléments d’explication à vocation pédagogique sur l’utilité et l’évaluation des options d’achat et des options de vente. Elle fournit également quelques éclairages sur l’apport de ces produits financiers pour supprimer l’aléa dans un univers incertain.

 

Situons-nous dans un monde dans lequel les animaux ne consomment que deux types de biens : du blé et du vin. La production de blé varie chaque année, en fonction des conditions météo. Lorsque celles-ci sont défavorables (cas le plus fréquent, près de huit années sur dix), 1 grain de blé semé une année ne permet de récolter que 4 grains l’année suivante, mais si les conditions sont favorables 1 grain de blé semé permet de récolter 9 grains l’année suivante. La production de vin est en revanche stable. Le vin se bonifie chaque année, de sorte que le vin de l’année précédente s’échange contre le vin de l’année à raison de 5 fûts de vin de l’année précédente contre 6 fûts de vin de l’année. Il est ainsi possible de déposer chez le caviste du vin de l’année et de récupérer l’année d’après une quantité 20 % supérieure en vin nouveau. De ce fait le vin sert de monnaie et de support d’épargne sans risque. Actuellement le prix du sac de blé est de 1 fût de vin. Le prix de l’année prochaine n’est pas connu, mais on sait que si la récolte est bonne le prix du blé chutera : avec deux fûts de vin de l’année, il sera possible d’obtenir trois sacs de blé ; au contraire, si la récolte est mauvaise il faudra trois fûts de vin de l’année pour obtenir deux sacs de blé. Le prix du sac de blé exprimé en fûts de vin sera donc de 1,5 si la récolte est mauvaise et de 0,667 (approximation de 2/3) si la récolte est bonne.

L’arbitrage plutôt que le stockage

Le renard et l’écureuil sont deux animaux qui disposent de la même réserve de liquide, à savoir 100 fûts de vin chacun. Ils ont deux stratégies différentes pour « sécuriser » un capital de 100 sacs de blé l’année prochaine.

L’écureuil achète dès à présent 100 sacs de blé et les stocke.

L’aléa sur les marges des producteurs

Le renard, qui souhaite passer son hiver tranquille, sans avoir à surveiller ses stocks, à éviter leur pourrissement, le risque de vol, etc., préfère utiliser ses compétences d’arbitragiste pour arriver au même résultat, à savoir disposer de 100 sacs de blé l’année prochaine.

Le renard sait qu’il existe différents profils d’agriculteurs qui sont à la recherche de différentes couvertures de leurs propres risques. Ainsi la souris du Morvan et la souris de Beauce, qui compte tenu de la nature de leurs exploitations respectives ont des problématiques différentes. Certes le chiffre d’affaires sera fixe pour chaque souris quelle que soit la qualité de la récolte (chaque sac de blé semé permettra de générer des ventes pour un montant de 6 fûts de vin : si la récolte est mauvaise 4 sacs x 1,5 fût ou si la récolte est bonne 9 sacs x 0,67 fût). Mais le chiffre d’affaires n’est pas la marge. Ce n’est pas la même chose en termes de coûts pour les souris de réaliser 6 fûts de chiffre d’affaires en vendant 4 sacs ou en vendant 9 sacs de blé. Or, la structure des charges, notamment les coûts de récolte sont différents selon les régions (grandes plaines ou petites montagnes) et le profil des fermes. Cela se traduit principalement par des charges variables de production plus élevées pour la souris du Morvan  (0,6 fût par sac de blé produit), que pour la souris de Beauce (0,4 fût par sac de blé produit). Les marges sur coûts variables qui en découlent sont présentées dans le tableau ci-dessous :

Marges sur coûts variables :

Des options pour supprimer l’incertitude

La souris du Morvan annulera tout risque d’aléa sur ses marges si elle peut être sécurisée sur un prix minimum de 1 sac de blé par fût de vin. La souris de Beauce, au contraire bénéficiera de marges fixes si elle accepte de plafonner son prix de vente à 1 sac de blé par fût de vin.

Le renard va ainsi proposer à la souris du Morvan de s’engager, moyennant le paiement immédiat d’une prime par cette dernière, à lui acheter si elle lui en fait la demande à l’issue de la prochaine récolte, 100 sacs de blé au prix unitaire de 1 fût de vin. Le renard vend ainsi une option de vente à la souris du Morvan sur 100 sacs de blé.

Le renard va dans le même temps proposer à la souris de Beauce de s’engager à lui vendre, s’il lui en fait la demande à l’issue de la récolte, 100 sacs de blé au prix unitaire de 1 fût de vin. Le renard achète ainsi une option d’achat sur 100 sacs de blé à la souris de Beauce.

Marges sur coûts variables avec les options :

La souris du Morvan et la souris de Beauce ont ainsi figé leurs marges sur coûts variables donc leurs marges globales sur une partie de leur production. Cette absence d’aléa porte sur une récolte issue de 25 sacs semés par la souris de Beauce (100 / 4 puisque l’option est exercée en cas de mauvaise récolte) et issue de 11,11 sacs semés pour la souris du Morvan (100 / 9).

L’équilibre entre le prix et les valeurs des options d’achat et de vente

Le renard a supprimé tout aléa sur son prix de revient des sacs de blé à l’issue de la prochaine récolte ; que la récolte soit mauvaise et donc le prix élevé ou que la récolte soit bonne et donc le prix faible, le renard aura un prix de revient de 100 fûts de vin pour 100 sacs de blé.

Nous allons à présent montrer qu’après avoir acheté l’option d’achat à la souris de Beauce et vendu l’option de vente à la souris du Morvan, le renard est bien en mesure de disposer dans un an des 100 fûts de vin qui lui seront nécessaires pour acheter les 100 sacs de blé souhaités.

Il s’agit de vérifier l’égalité selon laquelle la valeur d’un bien est égale à la valeur d’une option d’achat à un prix donné sur ce bien à un horizon donné, diminuée de la valeur d’une option de vente au même prix et au même horizon et augmentée de la valeur actualisée au taux sans risque de ce prix sur la période courant jusqu’à l’horizon choisi.

Valeur de l’option d’achat

La valeur de l’option d’achat souscrite par le renard auprès de la souris de Beauce peut être calculée par un raisonnement d’arbitrage. Il est possible de constituer un portefeuille d’actifs dont la valeur à l’issue de la prochaine récolte sera la même que celle de l’option d’achat quelle que soit la récolte. Ainsi un portefeuille constitué de 0,6 sac de blé et d’un emprunt de 0,33 fût de vin vaudra comme l’option d’achat 0,5 fût de vin dans un an si la récolte est mauvaise (1,5×0,6-(0,33×1,2)) et 0 si la récolte est bonne (0,667×0,6-(0,33×1,2)). Or, sauf à ce qu’il existe des opportunités d’arbitrage, c’est-à-dire la possibilité de gagner de l’argent sans risque en réalisant des arbitrages gagnants à coup sûr, deux actifs qui auront dans tous les cas de figure la même valeur à l’issue de la récolte doivent avoir la même valeur aujourd’hui. Le prix de revient du portefeuille d’arbitrage est de 0,27 fût de vin (0,6 sac de blé acheté pour un prix de 0,6 fût de vin et diminué de l’emprunt de 0,33 fût de vin) ; l’option d’achat vaut donc 0,27 fût de vin.

Valeur de l’option de vente

De la même manière, l’option de vente peut être évaluée par un raisonnement d’arbitrage : un portefeuille constitué d’un achat de 0,4 sac de blé et d’un emprunt de 0,5 fût de vin, permet de reproduire exactement la position de l’écureuil lorsqu’il vend une option de vente. Si la récolte s’avère bonne et donc que le prix de vente est de 0,667, le portefeuille vaudra -0,33 (0,4×0,667-(0,5×1,2)) et 0 si la récolte est mauvaise. L’option de vente vaut donc 0,1 fût de vin.

Relation entre valeur des options et prix actuel

Le renard qui dispose initialement d’une somme de 100 fûts de vin, va en dépenser 26,7 pour souscrire des options d’achat pour 100 sacs de blé au prix unitaire de 1 fût de vin auprès de la souris de Beauce. Il va dans le même temps recevoir de la souris du Morvan 10 fûts de vin en échange pour cette dernière de bénéficier de la possibilité de vendre 100 sacs de blé au prix unitaire de 1 fût de vin même si le prix de marché est inférieur. Le renard conserve donc un solde de 83,3 fûts de vin qu’il va placer au taux sans risque chez le caviste, ce qui lui permettra de disposer de 100 fûts de vin dans un an. Il sera alors en mesure de payer ses sacs de blé, que ce soit dans le cadre de l’exercice par ses soins de l’option d’achat auprès de la souris de Beauce ou dans le cadre de l’exercice de l’option de vente à ses dépens par la souris du Morvan.

La somme actuelle de 100 fûts de vin permet bien de disposer d’une quantité certaine de blé dans un an, en l’occurrence 100 sacs de blé.

Le prix de revient des 100 sacs de blé est donc bien égal au prix de l’option d’achat diminué du prix de l’option de vente et augmenté de la valeur actuelle au taux de 20 % du prix d’exercice (100) des options. On vérifie bien 100=26,7-10+(100/(1+20 %))).

 

L’arbitrage composé de l’achat d’une option d’achat et de la vente d’une option de vente aux mêmes prix d’exercice et pour les mêmes quantités permet ainsi au renard de supprimer tout aléa pour sa consommation future. Sa méthode apparaît plus efficace que celle de l’écureuil qui va supporter des risques de stockage. L’arbitrage du renard, consommateur, s’accompagne de la réduction de l’incertitude pour d’autres acteurs économiques, producteurs de biens, la souris de Beauce et la souris du Morvan.

 

Il convient de préciser pour conclure quelques limites à cette petite histoire.  Plusieurs hypothèses implicites n’ont pas été précisées. En premier lieu, les raisonnements présentés reposent sur un principe de prêt et d’emprunt au taux sans risque, accessible à tous sans frais auprès du caviste. Il s’agit d’un petit arrangement avec la réalité ; il est cependant de même nature que l’absence de coût de stockage pour l’écureuil. Une seconde hypothèse peut s’avérer plus dangereuse : l’absence de risque de contrepartie, que ce soit sur le placement du vin ou lors de l’achat d’option. Les exemples issus de la vie réelle peuvent nous faire craindre que le renard soit victime d’un caviste (ou d’une souris de Beauce) qui utiliserait les sommes reçues pour développer d’autres activités pouvant mettre en jeu sa capacité à honorer ses créances… Enfin, nous avons considéré sans le dire que les politiques de stockage n’influent pas sur les prix de vente du blé, qui ne sont fonction que des récoltes de l’année.