Il s’agit d’un livre stimulant. Nos lecteurs peuvent se reporter à l’excellente présentation qu’en font les auteurs sur le site du Peterson Institute PIIE. Le titre complet du livre est « The Great Demographic Reversal: Ageing Societies, Waning Inequality, and an Inflation Revival », édité chez Palgrave-Macmillan.

La thèse est simple : les tendances lourdes de la mondialisation et de la démographie se renversent. Elles ont poussé à une inflation très basse, à une réduction forte de l’inégalité entre nations et à un accroissement tout aussi fort de l’inégalité au sein des pays. Ce temps est fini. Nous allons devant un monde fait de dettes croissantes et qui va nécessairement renouer avec l’inflation. Un monde aussi où l’inégalité au sein des nations va décroître.

Suivons le fil au travers d’une série de graphiques et de tableaux.

Le premier montre l’évolution de la population en âge de travailler dans le monde développé (courbe bleue), de ce même monde auquel on ajoute la Chine et l’Europe de l’Est, qui se sont intégrées à la mondialisation et aux échanges commerciaux (jaune), et enfin l’Afrique et l’Inde (gris pointillé).

Graphique 1 : Population active en millions selon trois grandes zones

Ce que l’on voit, c’est qu’en quatre ou cinq décennies, la population active a tout simplement doublé, et qu’un immense réservoir d’emplois non qualifiés s’est, en l’espace de deux générations, ouvert au reste du monde.

La première conséquence concerne ces nouveaux pays : un effet de rattrapage particulièrement rapide où les salaires se sont fortement rapprochés des salaires des pays développés (tableau).

Tableau : Ratio du salaire moyen selon deux couples de pays

 

Le rattrapage est particulièrement impressionnant dans le cas chinois (mais les salaires chinois restent encore à un cinquième de ceux des États-Unis) ; même chose, à un degré moindre, entre la Pologne et la France.

Rattrapage et moins d’inégalités entre pays, mais d’autres conséquences moins agréables :

  • Le rattrapage chinois a sans nul doute exercé une violente pression sur les salaires des pays développés s’agissant des travailleurs non qualifiés.
  • D’autant plus que le secteur qui est resté dynamique dans ces pays a été le secteur des services, alors que le capital et les emplois industriels sont partis vers la Chine. Or, c’est dans le secteur manufacturier qu’il est le plus commode d’organiser le travail en syndicats puissants, capables de résister à la pression sur les salaires.
  • Par conséquent, une forte augmentation de l’inégalité au sein des pays, en même temps qu’une forte pression à la désinflation s’est imposé partout dans le monde. Or, une faible inflation favorise les créanciers, défavorise les débiteurs. Les revenus du capital sont restés dynamiques, d’autant que les grands groupes industriels ont été les promoteurs du transfert de capital vers la Chine et les pays nouvellement intégrés à la mondialisation.

Le graphique qui suit montre à quel point les travailleurs non qualifiés des pays développés ont vu leur position se dégrader. Voici, s’agissant des États-Unis, l’évolution salariale selon le niveau de diplôme (en bleu le plus diplômé, en rouge le moins) :

Pourquoi cela va-t-il s’inverser, pensent les auteurs ?

  • Parce que la démographie s’inverse rapidement pour la Chine, et à vrai dire pour l’ensemble du monde.
  • Pour la première fois, ce ne sont pas les jeunes qui pèsent dans les ratios de dépendance, mais les retraités.

Lire aussi : Les politiques économiques face au  vieillissement, le cas du Japon

 

Évolution du ratio de dépendance entre 1970 et 2019. Chine et Royaume-Uni.

Chine

Royaume-Uni
jeunes retraités jeunes retraités
1970 40% 4% 24% 13%
2019 18% 11% 17% 19%

Avec ici encore une double conséquence :

  • Un fort ralentissement de la productivité car le secteur dynamique va être celui des services, notamment des services à la population âgée.
  • Et de la croissance parce qu’à la productivité s’ajoute la baisse de la population active, sauf en Afrique et en Inde, mais beaucoup de problèmes sont devant ces deux régions du monde avant qu’elles puissent jouer le rôle qu’a eu la Chine dans les décennies récentes.

On doit s’attendre à de fortes tensions sur la répartition d’un revenu croissant moins vite et probablement une moindre tendance à l’inégalité au sein des pays, maintenant que le phénomène déstabilisant de l’émergence chinoise va s’atténuer, en même temps qu’une forte croissance des déficits publics parce qu’il est très difficile de faire porter le poids de l’ajustement nécessaire sur les personnes âgées (dont le poids politique ira croissant) par la baisse des pensions ou la hausse de la durée du travail.

D’où finalement, selon les auteurs, l’inflation comme variable d’ajustement, à un moment où une forte pression s’exercera sur les banques centrales pour qu’elles laissent des taux courts à un niveau bas pour ne pas déstabiliser à l’excès les budgets publics. Les banquiers centraux travaillaient en bonne harmonie avec les ministres des finances dans une période de violente réduction de l’inflation ; ils vont davantage se heurter dans la période à venir.

À lire.

 

Cet article a été publié sur Vox-Fi le 6 octobre 2020.