Un récent rapport de la Cour des comptes épingle très sévèrement les choix de financement retenus par le Ministère de la justice pour son vaste programme de construction de prisons et de tribunaux (dont l’énorme TGI dans le 17ème arrondissement de Paris) : il a recouru à la technique dite du PPP ou partenariat public-privé. Par cette technique, l’État confère à un acteur privé le triple rôle de construire l’équipement, d’en être l’opérateur pendant une période pré-convenue et d’en transférer à son terme la propriété à l’État. Pour cette triple fonction, l’acteur privé touche un loyer. On dit aussi BOT, pour Build, Operate, Transfer[1].

On lit dans le rapport de la Cour : « Le recours important aux contrats de partenariats a constitué pour le ministère une fuite en avant dont les effets sur les marges budgétaires se font sentir de façon croissante. »

Deux motifs à cette remontrance : 1- le coût de financement des projets en PPP est bien plus élevé que le coût de financement de l’État ; 2- la facilité de financement sans contrainte budgétaire immédiate laisse le maitre d’ouvrage moins regardant sur les coûts de construction.

Ainsi, prenant exemple sur les projets qu’ont été la construction des prisons de Riom, Valence et Beauvais, ajouté au projet du TGI de Caen, le coût de financement agrégé est de 5,9% quand, à l’époque de ces projets, l’État se finançait à 1,86%. Second point, le coût par place construite de l’une des trois prisons sous PPP a été 50% plus élevé que celui constaté habituellement pour des projets analogues.

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On écarte ici l’important sujet de la gouvernance des projets en PPP au regard de la surveillance des coûts et de la gestion. On se limite à passer au crible financier le premier argument, selon lequel il est absurde pour l’État de financer un projet à près de 6% quand son coût de financement est moins de 2%. On suppose aussi, avec confort, que le calcul de la Cour des comptes est bien fait, et que le 6% est le coût financier pur, hors charges d’amortissement et prestations de services annexes.

A- La théorie financière est claire à ce sujet : le coût du capital d’un projet est une caractéristique financière qui lui est propre, qui ne dépend pas de la nature ou de la solidité financière de son propriétaire ou financeur (en l’absence bien sûr de garantie financière offerte par l’investisseur au projet). Si le projet porte un risque qui le conduit à un coût de financement de 10%, le taux d’actualisation du projet est de 10%, que son propriétaire bénéficie d’une solvabilité financière personnelle solide ou médiocre.

Ainsi, si l’entreprise A achète l’entreprise B qui a un coût du capital plus élevé que le sien propre, il est absurde d’actualiser le « projet B » avec le coût du capital de A. De telles « synergies financières » sont illusoires pas et, hors éléments de synergie du côté industriel, le coût du capital de A s’accroitra en proportion du poids de B dans l’ensemble A+B. Rien ne se perd, rien ne se crée. L’État serait bien sot de s’adonner à ce type d’arbitrage de solvabilité.

B- Cependant, la règle perd de sa clarté s’agissant d’un projet de service public non marchand. Quelle est la sécurité financière des flux de services rendus par les prisons ? quel est même leur niveau ? On est tentés d’assimiler ces services aux services régaliens généraux du gouvernement, ce qui serait moins vrai d’un projet autoroutier ou ferroviaire par exemple.

Le coût du capital pour l’État, dans ses fonctions régaliennes, a la particularité de ne pas être un coût financier pur. L’État rend notamment deux services très spécifiques : un service de liquidité en raison du volume même des actifs financiers émis ; un service d’assurance dès lors qu’il a le monopole de la production des « actifs sans risque » (sous réserve qu’il contrôle la monnaie), une classe d’actifs très demandée et indispensable au bon fonctionnement d’une économie. Ces deux services ne sont pas facturés en tant que tels, mais sous la forme d’une décote sur le taux d’intérêt servi sur la dette. L’État peut donc en profiter pour financer à moindre coût certaines activités, sous réserve que ce gain financier ne soit pas gaspillé par une gestion moins efficace. Il s’agit là d’une externalité positive, une vraie « synergie financière » celle-ci, avec la tentation qui va avec d’en abuser.

C- Le PPP est ainsi au cœur d’un dilemme : soit l’activité en question a toute raison d’être pilotée au sein de l’économie marchande, et dans ce cas, la simple concession de service public est un instrument efficace, l’État n’ayant aucune raison de vouloir la propriété de l’actif. Un service des eaux ou du gaz peut ainsi fonctionner par l’intermédiaire d’opérateurs privés qui possèdent et opèrent les actifs dans le cadre étroit d’un contrat de concession. Il n’y a pas de « transfert » à la clé. Soit, seconde possibilité, l’actif est très difficilement détachable du service public, en particulier par impossibilité de mesurer le prix du service rendu, et l’État peut tout aussi bien l’internaliser complètement et garder les actifs sur son bilan. On voit mal la logique économique d’un cas intermédiaire.

D- C’est une honte des règles comptables de nos finances publiques de pousser l’État à une solution PPP même si elle est contreproductive économiquement. L’État peut vouloir cacher son endettement (ou son déficit public). Le carcan des règles de Maastricht, sacralisées à l’excès, l’y incite. Les loyers à acquitter au titre d’un PPP ne sont rien d’autre que de la dette, à intégrer à la dette publique. Il faut à l’État une comptabilité d’engagement et non de simples flux de caisse ; il lui faut l’analogue d’une norme telle que IFRS 15 sur les actifs mis en location. Les citoyens y gagneraient.

La privatisation des autoroutes en France est l’exemple même d’un tel gaspillage de ressources publiques, dû uniquement au fait que l’État est désargenté au sens comptable distordu vu précédemment : il se prive, comme pour la gestion carcérale, de la rente liée à sa propre qualité de crédit. Privatiser dans un tel cas est encore pire que du PPP : sachant le risque de marché de l’action, son émission dans le public doit se faire avec une forte décote.

E- Martin Wolf, dans une tribune récente du Financial Times du 26 janvier (« UK public-private partnerships have to change to be effective”), va dans le sens de ce billet. Mais il prête l’oreille à un curieux argument. On aurait tort, selon lui, de retenir comme coût du capital pour les PPP le taux d’emprunt de l’État. Ce dernier taux est en effet « subventionné », puisqu’il comporte une garantie offerte par tous les citoyens, celle de combler par un surcroît d’impôts tout problème de solvabilité qu’aurait l’État. Curieux sophisme. L’État, c’est nous, pour démentir Louis XIV. Il ne s’agit pas d’une « subvention », d’une assurance gratuite. Ce serait comme dire que la dette d’une entreprise est « subventionnée » par les actionnaires au prétexte qu’ils apportent par-dessus un coussin de fonds propres qui la garantit.

 

[1] Dans le cas présent, l’investisseur-opérateur n’est pas gestionnaire de la prison, qui reste un service public assuré par un corps de fonctionnaires. Il n’en va pas ainsi aux États-Unis, où l’État fédéral rentre traditionnellement dans des contrats de sous-traitance auprès du privé des services carcéraux. Cette pratique a enregistré un fort recul là-bas sous la présidence Obama en raison de graves manquements constatés.