Faut-il interdire aux entreprises qui demandent un soutien financier de l’État de verser des dividendes ou de procéder à des rachats d’actions ?

Rappelons que les dividendes correspondent dans les entreprises correctement gérées à des liquidités dont l’entreprise n’a pas l’utilité dans son activité une fois qu’elle a atteint une structure financière qui correspond à son objectif.

Si du fait de la crise sanitaire que nous connaissons, une entreprise a des besoins de liquidités, il faut être cohérent et supprimer ou fortement réduire les dividendes versés, qui ne sont en rien un engagement éternel inscrit dans le marbre, mais une sortie de trésorerie discrétionnaire.

Ensuite et seulement ensuite, l’entreprise pourra se tourner vers les pouvoirs publics pour obtenir leurs concours. En arrêtant de verser des dividendes, elle renforcera ainsi sa solvabilité (ou évitera de l’affaiblir) avant d’accroître sa liquidité et son endettement grâce aux pouvoirs publics (voir notre billet du vendredi 20 mars).

Il nous paraît donc financièrement (et politiquement) approprié pour les pouvoirs publics de conditionner leur aide financière à l’arrêt du versement des dividendes et des rachats d’actions.

 

Le dividende n’est ni une idole ni un tabou !

C’est ainsi que nous concluons notre étude annuelle sur les dividendes et les rachats d’actions. Si nous n’avons jamais été pour ou contre les dividendes, nous sommes contre leur sacralisation. Et actuellement nous assistons à leur re-sacralisation.

On a salué dans un billet précédent les entreprises qui supprimaient ou réduisaient fortement leurs dividendes, car elles avaient soudain, du fait de la crise sanitaire, des besoins de trésorerie inattendus. Et c’est tout à fait rationnel et logique, car le dividende correspond à un excès de cash non utile à l’entreprise. De la même façon que verser un dividende n’est pas créateur de valeur, arrêter d’en verser un pour de bonnes raisons (parce que l’entreprise en a besoin dans son activité) n’est pas destructeur de valeur.

La position de l’AFEP (qui regroupe 110 des plus grandes entreprises privées de France), conseillant à ses membres ayant opté pour un recours au chômage partiel pour une partie de leurs effectifs de réduire de 20 % leur dividende à verser en 2020, est peu compréhensible. Soit le grand groupe a la trésorerie nécessaire, sans pénaliser ses activités opérationnelles, pour verser un dividende qui reflète sa politique de distribution et ses résultats 2019, et dans ce cas nous ne voyons pas pourquoi il le réduirait de 20 %, comme si c’était un symbole que l’on adresserait à l’opinion publique. Soit il n’en a pas les moyens, ce que laisse supposer son recours au chômage partiel financé par la collectivité qui lui permet d’éviter des débours de trésorerie, et dans ce cas on comprend mal pourquoi une réduction de 20 % et pas de 100 %.

Aussi peu compréhensible est la rumeur que l’on prête à un grand groupe de vouloir supprimer son dividende, alors qu’il n’est que marginalement affecté par la crise sanitaire. Par solidarité susurre-t-on. Mais par solidarité avec qui ? Supprimer le dividende ne va pas accroître les moyens des hôpitaux, mais va réduire les recettes fiscales des États qui en ont pourtant bien besoin en ce moment.

Aussi peu compréhensible est la rumeur que l’on prête à tel autre groupe outre-Rhin de vouloir maintenir son dividende alors que son activité est de façon évidente touchée significativement.

S’il doit y avoir un seul fétichisme sur le dividende, c’est que la liquidité de l’entreprise cotée doit prévaloir sur celle des actionnaires. En effet, si l’actionnaire de l’entreprise cotée a besoin de liquidité, il peut toujours vendre les quelques pourcents de son portefeuille que représente en moyenne le taux de rendement des dividendes des grands groupes, alors qu’il est bien évidemment quasi impossible de procéder à des augmentations de capital en ce moment.

Cette règle de bon sens devrait, si besoin était, simplifier les débats au sein des conseils d’administration qui ont naturellement besoin de temps, comme nous tous, pour arriver à la meilleure décision.

 

Cet article a été publié dans la La Lettre Vernimmen.net n° 178 (avril 2020).