Bouygues a annoncé le 31 août dernier un projet d’offre publique de rachat d’actions (OPRA) d’un montant de 1,25 Md€ portant sur 11,7 % des actions au prix de 30 € par action soit une prime de près de 30 % sur le cours de l’action au moment de l’annonce (23,09 €). Dans son communiqué, Bouygues annonce l’intention de l’actionnaire de référence, la SCDM, de ne pas apporter ses titres à l’offre. Cette offre a donc un objectif clair : augmenter le pourcentage de détention du groupe par les actionnaires désireux « d’accompagner le groupe dans la durée », tout en « offrant aux actionnaires qui le souhaitent une opportunité de liquidité leur permettant de bénéficier d’une prime de 29 % sur le cours moyen un mois ».

Remarquable par son ampleur, étonnante à mes yeux par la hausse du cours qu’elle a provoquée dès l’ouverture des marchés le 31 août (+15,9 % sur le cours de son action tandis que le CAC gagnait 2,4 %), cette offre n’apparaît pas forcément la voie la plus pertinente au regard de l’objectif annoncé.

Soulignons dès le départ qu’il est difficile sur le principe d’être contre une opération soumise à un double contrôle démocratique : une majorité des deux tiers en assemblée générale pour autoriser l’opération, puis la liberté pour chaque actionnaire de ne pas répondre à l’offre ou d’apporter tout ou partie de ses titres. Il faut souhaiter cependant, pour paraphraser un expert indépendant de la place1 que les modalités de l’offre n’augmenteront pas le risque financier encouru par les actionnaires dans une proportion qui les inciteraient trop fortement à présenter leurs actions à l’offre. Le communiqué de Bouygues y apporte d’ores et déjà une réponse en annonçant que « les équilibres financiers de la société resteraient (…) préservés ».

L’importance de l’offre, 1,25 Md €, doit être relativisée s’agissant de Bouygues qui a déjà habitué ses actionnaires à de fortes distributions, et notamment 1,6 Md € distribués en 2005 suite à la vente de la SAUR. La réaction du marché laisse en revanche perplexe.

La théorie financière classique, illustrée par les résultats de Modigliani et Miller, démontre que la politique de financement est neutre sur la valeur de la société, hors biais fiscaux et sous réserve d’efficience des marchés. Dans le cas présent, la prime offerte pour racheter les actions devrait se traduire par une baisse du cours postopération et d’ici sa réalisation par une très légère hausse (un peu plus de 0,20 €, soit 1 %) des actions du flottant en raison de l’abandon par la SCDM (la famille Bouygues) de sa quote-part d’options de vente à 30 € au bénéfice des autres actionnaires du fait de son engagement de ne pas apporter à l’offre (avec pour corollaire une perte de valeur d’au moins 0,92 € de chacune des actions2 de la SCDM !). On est très loin de la hausse de 15,9 % du cours post-opération.

Peut-être faut-il chercher ailleurs la raison d’une telle hausse.

La théorie financière dite du signal nous propose de considérer les annonces comme des signaux qui sont interprétés par le marché. Ici Bouygues annonce manquer de sujets d’investissement… Cela doit-il rassurer le marché et justifier le plébiscite mesuré par l’évolution du cours de l’action ? Autre signal : la famille Bouygues sous-entend que son action est mal valorisée en annonçant qu’elle n’apportera pas ses actions à l’offre… Est-elle mieux placée que le marché pour avoir un avis éclairé sur son cours ? Et pourquoi faire peser à la société ses convictions et ne pas prendre à sa charge le risque et le coût afférent, comme devrait le faire tout actionnaire lambda ?

La théorie financière dite de l’agence pourrait quant à elle justifier qu’avec moins de cash disponible la société assurera une meilleure gestion de ses ressources disponibles, argument qui s’entend parfaitement dans le cas de sociétés au capital totalement éclaté quand on peut craindre que le management ne vive un peu trop richement, mais argument peu fondé dans le cas de Bouygues dont l’actionnaire familial dirige effectivement le groupe. La réaction du marché reste donc à nos yeux un mystère.

Enfin, l’OPRA n’apparaît pas comme le schéma le plus efficient pour atteindre l’objectif annoncé. Reluer les actionnaires de long terme en payant une prime aux sortants apparaît une illusion comptable. La relution politique pourrait justifier le paiement d’une prime, mais cet objectif semble absent dans le cas présent.

Une offre publique nécessite d’offrir une prime élevée pour être attractive. Comme l’indiquait le billet du 24 mars 2010 de ce Blog (« Non au rachat d’actions ») une distribution de dividende exceptionnel avec l’option de paiement en action permettrait de tenter une relution sans (ou pratiquement sans) payer de prime. Et contrairement à l’OPRA qui demande la mise en place d’une opération boursière lourde et coûteuse, une distribution de dividende avec option de paiement en actions est une procédure nettement plus légère. Si trop peu d’actionnaires viennent à choisir le paiement en cash dans le cas d’une distribution exceptionnelle avec option de paiement en action et donc que l’objectif recherché n’était pas atteint, il est aisé de renouveler l’opération quelques mois plus tard.

On ne peut donc qu’être interrogatif sur les modalités de l’opération.

[tabs slidertype= »top tabs »][tabcontainer] [tabtext]1.[/tabtext] [tabtext]2.[/tabtext] [/tabcontainer] [tabcontent] [tab]1.  Accuracy (Bruno Husson et Henri Philippe ) – rapport de l’expert indépendant inclus dans le rapport d’information de l’OPR Etam Développement en date du 11 mai 2010, visée par l’AMF sous n° 10-125.[/tab] [tab]2. Sur la base du cours de clôture de 23,09 € la veille l’annonce : puisque 11,7 % des actions sont valorisées 30 €, les 88,3 % restantes ne valent plus toutes choses égales par ailleurs que 22,17 €, soit une baisse de 0,92 € par action ; sans prise en compte de la valeur temps des options de ventes attachées à 11,7 % des actions.[/tab]  [/tabcontent] [/tabs]

 

 

 

[1], que les modalités de l’offre n’augmenteront pas le risque financier encouru par les actionnaires dans une proportion qui les inciteraient trop fortement à présenter leurs actions à l’offre. Le communiqué de Bouygues y apporte d’ores et déjà une réponse en annonçant que « les équilibres financiers de la société resteraient (…) préservés ».

L’importance de l’offre, 1,25 Md€, doit être relativisée s’agissant de Bouygues qui a déjà habitué ses actionnaires à de fortes distributions, et notamment 1,6 Md€ distribués en 2005 suite à la vente de la SAUR. La réaction du marché laisse en revanche perplexe.

La théorie financière classique, illustrée par les résultats de Modigliani et Miller, démontre que la politique de financement est neutre sur la valeur de la société, hors biais fiscaux et sous réserve d’efficience des marchés. Dans le cas présent, la prime offerte pour racheter les actions devrait se traduire par une baisse du cours postopération et d’ici sa réalisation par une très légère hausse (un peu plus de 0,20 €, soit 1 %) des actions du flottant en raison de l’abandon par la SCDM (la famille Bouygues) de sa quote-part d’options de vente à 30 € au bénéfice des autres actionnaires du fait de son engagement de ne pas apporter à l’offre (avec pour corollaire une perte de valeur d’au moins 0,92 € de chacune des actions

 


[1] Accuracy (Bruno Husson et Henri Philippe )– rapport de l’expert indépendant inclus dans le rapport d’information de l’OPR Etam Développement en date du 11 mai 2010, visée par l’AMF sous n° 10-125.