Quelle est la recette pour faire un bon paradis fiscal ? Pour les amateurs, voici une première liste des ingrédients nécessaires.
 
Premier ingrédient, il faut un pays situé dans une zone de paix. A ce titre, le Luxembourg, le Lichtenstein ou Andorre répondent bien à la condition. Le Koweït ou le Liban, non. Le Libéria avait tenté autrefois de se construire une « franchise » de paradis fiscal pour la domiciliation de la marine marchande, mais la guerre civile qui l’a dévasté a eu raison de cette belle stratégie. Pourquoi la paix ? Trois raisons : d’abord l’argent évadé ou plus ou moins propre aime bien la sécurité et la tranquillité ; ensuite, cela permet l’économie de la dépense publique dans le domaine de la sécurité et de la défense nationale – on s’autorise moins d’impôts quand on vit chaudement sous la couverture d’un autre. Enfin, il vaut mieux être placé aussi dans l’orbite d’une zone prospère, aux frontières fluides ou poreuses. Le Luxembourg répond bien à cela.
 
Deuxième ingrédient sur la liste, il faut une fiscalité locale faible voire très faible. Ici, il faut choisir sa stratégie : paradis pour les entreprises, ou pour les riches particuliers. Les Pays-Bas ou Hong-Kong (qui répondent très modestement à la définition de paradis fiscaux de l’OCDE, loin de là) ont clairement une stratégie entreprise ; le Liechtenstein ou Macao, de private banking.
 
Troisième ingrédient, il faut être un petit pays. Les Etats-Unis ne pourront jamais être un paradis fiscal par exemple, ni l’Europe une fois qu’elle aura davantage unifié sa fiscalité (par exemple, l’IS est un des plus élevés aux Etats-Unis ; l’impôt sur le capital aussi). Pour comprendre ceci, un petit raisonnement s’impose : baisser ses taux d’impôt a deux effets de sens contraire :
– cela réduit la base fiscale et appauvrit l’Etat, qui est moins en mesure d’offrir à ses citoyens (ou aux non-résidents qui y viennent) les services publics de base ;
– mais cela attire les capitaux étrangers, ce qui regonfle la base fiscale du pays.
 
Quel effet va dominer ? Le second si le pays est petit ; le premier s’il est grand. Dans ce dernier cas en effet, la proportion d’entreprises étrangères qui vont y placer leur base fiscale est faible au regard de la base fiscale des entreprises déjà résidentes : l’effet est négatif. Baisser le taux d’IS fait chuter les recettes fiscales, sans attirer massivement beaucoup d’entreprises étrangères (en proportion de la taille de l’économie). On dit que l’élasticité de l’impôt au taux de l’impôt est faible, voire négative. Tout s’inverse dans un petit pays. On voit que ce troisième ingrédient est très lié aux deux premiers.
 
Quatrième ingrédient, faire une partie de son marketing vers les pays en voie de développement. Les pays pauvres de la planète ne peuvent facilement devenir eux-mêmes paradis fiscaux puisque le pouvoir d’Etat n’a les moyens ni de garantir la sécurité ni de s’offrir un cadre juridique et des services fiscaux compétents. Ils sont démunis face à l’évasion fiscale. Leur propre fiscalité est par force rudimentaire : il est compliqué, par exemple, de mettre en place une TVA qui fonctionne. On se contente donc, en un premier temps, de taxes « sommaires », comme des droits de douane sur les importations ou sur les exportations, autant d’impôts faciles à contourner. Telle grande multinationale fera aisément évader tout le profit qu’elle veut de ce pays qui, faute d’être un paradis fiscal, devient une terre de pillage fiscal, ce qui est différent.
 
Cinquième ingrédient, vivre dans une relation de parasite utile avec les grands pays, un peu comme ces oiseaux qui nettoient de leurs tiques la peau des buffles. Les paradis fiscaux attirent la frange la plus riche ou la plus douteuse des flux financiers des résidents des grands pays et donc prélèvent une dîme sur les taux d’impôt des grands pays. Ces grands pays ont deux armes à leur disposition :
– une fiscalité de plus en plus sophistiquée pour contrecarrer la fraude ou l’évasion, témoins dernièrement les grands progrès faits par le fisc allemand pour empêcher les effets de levier à buts fiscaux, ou pour piéger les riches particuliers allant au Luxembourg ou au Liechtenstein ;
– et en parallèle une certaine tolérance pour des paradis fiscaux « de proximité », consistant tant qu’à faire à s’arranger pour que les capitaux ne s’évanouissent pas dans une place plus lointaine ou encore qu’on garde l’évasion ou la fraude fiscale dans des limites raisonnables. C’est pourquoi la Grande-Bretagne favorise les Iles anglo-normandes, les Etats-Unis les Iles Caïman et la France, donneuse de leçons comme souvent…  la Principauté de Monaco. (Avez-vous noté à quel point que le débat public en France épargne Monaco, pourtant le pire de tous d’après l’OCDE ?)
 
Les stratégies prédatrices diffèrent ici : certains visent le marché de l’argent et des flux douteux, par exemple les Iles Caïman ; d’autres sont plus haut-de-gamme et veulent garantir une sécurité et une respectabilité au regard, par exemple, des lois anti-blanchiment. C’est le cas du Luxembourg ou de la Suisse. On dit que ce dernier pays, fort de sa tradition d’excellence, pourrait être attiré par une sortie par le haut, privilégiant la sophistication financière au détriment du marché de la finance occulte. Il recherchera ainsi le cadre réglementaire le plus rigoureux. La régulation suisse de l’assurance est une des plus sophistiquées au monde. Par contre, certains cantons ont une fiscalité directe des plus carnassières. A suivre.