Pourquoi la reprise est-elle plutôt vigoureuse aux États-Unis et au mieux poussive dans la zone euro ? Une des différences majeures, nous disent les économistes, tient à un désendettement de l’économie, et particulièrement des ménages, beaucoup plus rapide là-bas que chez nous. Ce désendettement pourrait tenir à son tour, et de façon non négligeable, à une caractéristique à première vue mineure des crédits immobiliers aux États-Unis : ils sont assez largement « sans recours », alors qu’ils sont exclusivement « avec recours » en Europe.

Que veut dire ce terme ? Usuellement, les prêts immobiliers aux ménages se font en retenant le logement financé en hypothèque. La banque avancera par exemple 300.000 $ pour une maison qui en vaut 400.000. En cas de défaut de l’emprunteur, elle saisit la maison. Jusqu’ici, les deux côtés de l’Atlantique ne diffèrent pas (même si les opérations de saisie dans certains pays, dont la France, sont complexes et poussent les banques à une sélectivité extrême). La différence contractuelle est qu’une fois la saisie opérée, l’emprunteur américain, du moins dans beaucoup d’États dont la Californie, est quitte (il n’y a pas de recours de la banque à son endroit), tandis que l’emprunteur européen est redevable tant que le prêt n’est pas apuré.

Par exemple, si la maison ne vaut plus que 200.000$ suite à une crise immobilière, le ménage américain a intérêt à rendre les clés : il se libère d’une dette de 300.000$ en ne dépensant que 200.000$. En Europe, malgré la saisie, il lui restera 100.000$ à rembourser en raison du recours que la banque garde sur lui.

Le secteur financier offre donc aux États-Unis non seulement un service de financement, mais aussi une certaine protection contre le risque immobilier. Cette assurance n’est pas offerte aux ménages européens. C’est dommage. Beaucoup prendraient cette option, y compris en payant plus cher leurs crédits (les taux des crédits immobiliers sont sensiblement plus élevés aux États-Unis). De plus, les banques prêteraient davantage en fonction de la valeur du bien financé et pas quasi exclusivement en fonction de la solvabilité du ménage. L’accès à la propriété en serait facilité pour des ménages à revenu intermédiaire.

Les banques ne feraient ici qu’étendre aux ménages ce qu’elles offrent depuis longtemps aux entreprises : des crédits gagés sans recours. Par exemple, l’affacturage sans recours est un produit très populaire, adapté à des entreprises à la solvabilité incertaine. La banque prend en gage les créances clients de l’emprunteur, mais sans possibilité de se retourner contre lui en cas de défaut du client. Ce service d’assurance-crédit est très précieux pour l’entreprise, comme l’est pour les ménages une assurance contre le retournement des prix sur le marché immobilier. Elle limite les cas où s’impose une faillite personnelle du ménage, un statut juridique encore incertain en Europe. Elle permet que naissent des produits tels que le « reverse mortgage » où la banque prête aux personnes âgées sur la base de la valeur nette du bien, un substitut très commode du viager, qui se développe si mal en France. C’est une façon de faire prendre le risque de mortalité au secteur financier et non aux particuliers.

Faciliter le crédit immobilier n’est pas une idée très en vogue aujourd’hui chez les régulateurs bancaires depuis la crise des subprimes de 2007, qui a montré l’incroyable laxisme des banques américaines. Ni chez les banques, qui aujourd’hui cherchent surtout à ne pas accroître leurs risques. Mais les crises immobilières au Royaume-Uni, en Espagne et en Irlande, pays où les prêts sont avec recours, obligent à ne pas chercher dans cette option contractuelle la cause des crises de surendettement.

En revanche, l’option a des effets macroéconomiques stabilisants. Les banques prenant à leur charge davantage de risque immobilier, les ménages se désendettent plus vite en cas de crise. C’est ce qui s’est passé aux États-Unis, où les acquisitions de logement ont même repris et où les prix de l’immobilier sont remontés de près de 25% depuis le début 2012. En contrepartie, la crise bancaire y a été beaucoup plus forte, mais, grâce à l’intervention de la FED, la banque centrale des États-Unis, sans dommage irréversible pour l’économie.

Le secteur financier est mieux à même que le secteur non-financier d’assumer le risque. C’est d’ailleurs sa vocation. C’est pourquoi les autorités doivent encourager une forme de crédit utile aux ménages et stabilisante pour l’économie.