Ça y est ! Le Traité européen de discipline budgétaire a été voté par les deux chambres, de même que la loi organique imposant la « règle d’or » en matière d’équilibre budgétaire. Le but de ce billet n’est pas de rentrer dans le débat économique ouvert par ces lois décisives : fallait-il ou non, notamment en ces temps où la demande privée est en train de plonger, imposer de façon structurelle l’équilibre budgétaire ? Et en particulier viser les 3 % de déficit budgétaire pour 2013 ? (A titre très personnel et à regret, je dirais oui.)

Ce billet pose une question institutionnelle ou de gouvernance : qui donc, dans notre république, est en charge de surveiller le bon état des finances publiques ? La réponse depuis Montesquieu est : le Parlement. Il vote (ou non) la loi de finances proposée par le gouvernement. Et il en surveille l’exécution.

Avec le traité européen, on met en place une obligation « supra-légale », qu’on l’appelle loi organique ou loi constitutionnelle, obligeant tout à la fois l’exécutif et le législatif à un équilibre structurel des finances publiques.

Et dans le cas français, on lui ajoute un agent externe de surveillance, le Haut conseil des finances publiques, composé pour une part de membres de la Cour des comptes, pour l’autre de personnalités qualifiées et indépendantes nommées par les présidents des deux chambres et les présidents de leur commission des finances.

S’il ne s’agissait que de créer un conseil de plus, et même un haut conseil, il ne faudrait y voir que la manie moderne de nos institutions d’inventer une Autorité ou un Conseil indépendant dès qu’un sujet authentiquement politique se présente. Mais ici, ce Conseil, encore une fois une commission d’experts apolitiques, a la mission centrale de surveiller que l’exécutif fait bien son travail.

 

Si l’on reste dans l’esprit de la Ve République, qui en cela a poussé à l’extrême une tradition politique de notre pays, on s’en félicite : il y a toujours eu défiance pour le Parlement, réputé dépensier et à l’écoute des intérêts locaux et particuliers. Un jugement qui, sur la durée, s’autoréalise : un Parlement depuis si longtemps déresponsabilisé ne joue plus en effet qu’un rôle secondaire dans l’établissement du budget et au vrai de toutes les lois. À organiser systématiquement l’irresponsabilité, on parvient à l’obtenir. Le récent passage au quinquennat présidentiel, en tout cas tant qu’il fera coïncider les calendriers parlementaire et présidentiel (on peut avoir des surprises !), accroît encore ce suivisme des députés. Pas étonnant donc que nos politiques veuillent conserver le cumul des mandats, une curieuse originalité française : un poste de député est bon pour la façade sociale et l’ascension politique, mais autant déserter le Parlement s’il vous reste des mandats électifs ailleurs : ils sont diablement plus en prise avec la réalité.

Il n’est pourtant pas écrit que le Parlement ne puisse jouer de rôle responsable dans la gestion des finances publiques. Historiquement, c’est le fondement même de la démocratie parlementaire. Pour remonter à son origine, à savoir la Glorious Revolution anglaise de 1688, le premier acte du parlement a été d’affirmer sa prééminence dans la décision budgétaire. Désormais, il soumettait le roi à accord préalable en matière de dette. Ainsi, l’engagement collectif à rembourser était affirmé. L’État s’imposait une contrainte de réputation et la rendait crédible. L’endettement public devenait plus sûr, ce qui, soit dit en passant, rendait à la collectivité le service de créer un véhicule d’épargne réputé « sans risque », ce qui est le socle sur lequel une accumulation durable du capital est possible. Vouloir prêter dans des projets risqués, c’est pouvoir prêter sans risque.

Cette décision, simple financièrement, mais complexe politiquement (il a fallu une tête royale en moins !) a eu un effet immense sur l’histoire du siècle suivant. L’accès aisé aux ressources financières a doté l’État anglais d’une puissance inconnue jusqu’alors. On estime que la dette publique à l’époque des Stuart ou sous Louis XIV n’a jamais dépassé les 5 % du PIB. Après la Glorious Revolution, le ratio dette publique sur PIB atteignait couramment les 40 %, soit huit fois plus ! La dette publique n’est à l’évidence pas une mauvaise chose : c’est sur cette base que la monarchie anglaise a pu bâtir son empire colonial. C’est sur cette base que les Anglais, fort d’un budget militaire solide, ont pu battre à plate couture les armées de Louis XIV, un roi faussement absolu qui s’essoufflait à financer son effort de guerre par manipulation monétaire ou en pressurant d’impôts sa population. L’État peut lui aussi, à l’égal des entreprises, profiter de l’effet de levier de l’endettement.

Si donc il est tout à fait possible et sain d’avoir de la dette publique, et même beaucoup de dette publique, il faut impérativement qu’elle finance un budget géré et surveillé de façon responsable, en particulier par un Parlement attentif et sourcilleux, et sur des projets viables.

La nouvelle contrainte européenne est bonne en ce qu’elle introduit un chien de garde sur la conduite du budget. Elle est peut-être bonne également, mais provisoirement, parce qu’elle renforce aujourd’hui la main du Parlement face à un exécutif jusque-là tout puissant dans le domaine budgétaire. Mais elle est mauvaise si le résultat de cette surveillance par des instances externes au débat politique national conduit à démotiver plus encore les instances démocratiquement en charge.

Rendre du pouvoir au Parlement n’est pas aisé, surtout quand nos parlementaires ne semblent pas trop l’exiger : ils ont voté sans barguigner la création du Haut Conseil. Il est long d’insuffler une culture de responsabilité budgétaire.

On aurait pourtant envie de dire à nos parlementaires, indignez-vous ! Pestez contre le gouvernement quand il efface de son langage le terme de rigueur alors qu’il se met enfin à être rigoureux (l’opinion publique française la souhaite, à 63 % selon un dernier sondage). Pestez quand il met au panier la procédure du gouvernement précédent de RGPP (Révision générale des politiques publiques) au prétexte (probablement vrai) qu’elle pose des problèmes de méthode.

Il faut afficher sans pudeur la continuité avec les trop rares efforts précédents et les amplifier.

Il faut pousser pour que le gouvernement propose très vite ce qu’il n’a honnêtement pas eu le temps de mettre sur pied dans les trois mois depuis son arrivée, à savoir un programme structuré de recentrage des actions de l’État. C’est la seule façon de faire des vraies économies, bien au-delà de l’échenillage, à la fois gentil et aveugle, auquel il s’est livré dans les trois mois de confection du budget, et qui l’a forcé, de façon regrettable, à mettre la priorité sur la hausse des impôts.

Et indignez-vous si cela ne vient pas assez vite !