Ce dernier élément, à vrai dire de bon sens, a pour conséquence que ces grandes entreprises n’ont plus intérêt à laisser leurs profits extérieurs dormir à l’étranger, le plus souvent dans des paradis fiscaux, mais peuvent tout autant les rapatrier, libres d’une partie de l’impôt, aux États-Unis.

La double question est : Ces entreprises vont-elles effectivement rapatrier leurs profits ? Quelles conséquences sur l’économie ?

Le graphique qui suit, tiré d’une étude récente faite par le US Census Bureau, l’équivalent de notre INSEE, dans sa revue Survey of Current Business est formel : il y a bien le début d’un rapatriement massif.

 

On y voit, à partir de la balance des paiements des États-Unis, l’ensemble des flux composant le poste « Investissement direct à l’étranger ». Tout est à peu près régulier sauf la ligne  « Reinvestment of earnings », celle qui représente le montant des profits réalisés à l’étranger par les entreprises résidentes américaines qui ne font pas l’objet de dividendes ou de rachats d’actions, c’est-à-dire de retour à la maison mère située aux États-Unis. Traditionnellement, c’était un montant de 300 Md$ qui était « laissé » chaque année à l’étranger, éventuellement investi en actifs économiques, mais le plus souvent laissé en cash dans des paradis fiscaux. En 2018, inversion complète : c’est 252 Md$ qui sont rapatriés aux États-Unis.

On peut être plus précis à l’aide de ce second graphique. En 2018, les profits des multinationales américaines sur leurs filiales à l’étranger se sont élevés à 525 Md$, alors que les dividendes payés aux maisons-mère se sont élevés à 777 Md$. D’où la différence de 252 Md$.

On est bien sûr loin du compte : on estime en effet que le stock de profits non rapatriés s’élevait avant la réforme fiscale à 2,8 Tr$. Il n’y a donc à fin 2018 qu’une baisse de 250 Md$. Il y a encore de la marge.

L’étude va plus loin puisqu’elle identifie les pays, c’est-à-dire les paradis fiscaux, d’où proviennent ces rapatriements : les Bermudes et les Pays-Bas en premier lieu, suivis par l’Irlande (eh oui ! Pays-Bas, Irlande, gros paradis fiscaux, dans cet ordre).

Répondre à deuxième question est plus spéculatif. Ce bon argent va-t-il faire de l’investissement et de l’emploi de la part des multinationales qui rapatrient les fonds ? Va-t-il être distribué à leurs propres actionnaires (qui a leur tour peuvent investir les fonds) ? Va-t-il réduire l’endettement des entreprises ? On saura tout ça dans quelque temps. Le plus probable est que l’effet sur l’investissement sera minimal, au moins à court terme, à la fois parce que l’économie fonctionne déjà au plein emploi, et surtout parce que la localisation des fonds est relativement secondaire dans une stratégie d’entreprise globalisée : cela faisait longtemps que les entreprises en question investissaient ou distribuaient des dividendes sur la base de fonds levés par endettement et gagés sur le cash détenu à l’étranger. Apple par exemple, qui finalement avait été forcée de distribuer des dividendes à ses actionnaires faute d’opportunité d’investissement en interne à hauteur de ses fabuleux profits, , le faisait en levant des emprunts obligataires pour payer les dividendes, sans toucher par conséquent à la cagnotte logée à l’étranger, une cagnotte au demeurant investie très sagement pour l’essentiel en titres souverains des États-Unis, ceci pour montrer le bouclage du financement, les extravagants profits corporate coïncidant parfaitement avec le tout aussi extravagant déficit public.

L’idée de ce post, et la référence à l’article de Survey of Current Business, est suggéré à la rédaction de Vox-Fi par Tim Taylor dans un excellent billet de son blog, en date du 6 septembre 2019.