Ce blog se fait l’écho régulier des débats portant sur le mode de sauvetage des banques. Un consensus est maintenant atteint tant parmi les régulateurs que les économistes sur ce que serait la solution idéale : il faut trouver les mécanismes par lesquels les défauts bancaires seraient banalisés, c’est-à-dire de faire en sorte qu’ils ne soient pas plus perturbateurs que l’est le défaut d’une entreprise industrielle, événement toujours traumatisant mais jamais cataclysmique. Si l’objectif est juste, trouver le bon mécanisme est un casse-tête. Une nouvelle proposition émerge, venant du Crédit Suisse, les bail-in bonds, idée reprise par l’excellente éditorialiste marchés du Financial Times, Gillian Tett, en date du 15 juillet (Voir ‘Bail-in’ will save the taxpayer from the bail-out).

Pour le rappeler une fois encore, ce qui distingue un défaut corporate d’un défaut bancaire (et on le voit maintenant d’un défaut souverain) est simplement qu’à l’annonce d’une crise bancaire, l’ensemble des prêteurs de la banque se rue vers la sortie, ce qui aggrave la crise de liquidité, se transforme ipso facto en une crise de solvabilité (la banque vendant ses actifs à prix décotés) et prend un caractère systémique en raison de l’interconnexion du système bancaire. Ce risque d’implosion oblige à un système de sauvetage à deux niveaux : la banque centrale comme prêteur en dernier ressort pour résoudre la crise de liquidité, et, le cas échéant, un actionnaire en dernier ressort, l’État, qui renfloue la banque sur l’argent des citoyens. Ces deux niveaux ont joué massivement lors de la crise de liquidité de l’automne 2008. Pour une entreprise normale, une crise de liquidité n’est pas synonyme de crise de solvabilité, et dans le cas d’une menace de défaut, ce sont les actionnaires en place qui renflouent, et à défaut, les créanciers qui trinquent . Perversité bien connue dans le cas bancaire, les créanciers privés sont au contraire préservés (au-delà il va de soi des simples déposants), puisque toute annonce de défaut sur un titre de dette bancaire provoque la ruée bancaire qu’on cherche à éviter. Du coup, les prêteurs prêtent sans risque, à l’abri de l’assurance crédit gratuite offerte par l’État. Ils n’exercent donc pas la discipline qui convient, et le management lui-même n’a plus trop à s’occuper de la solvabilité (laissant le job aux régulateurs) et garde les yeux rivés sur le seul indicateur de ROE et donc sur l’accroissement à toute force du levier de dette.

Un des étonnements de la dernière crise a été de voir qu’à quelques exceptions près, les titres de dette les plus subordonnés qui soient, du genre hybride lower Tier-1, malgré les impressionnants yoyos de leurs prix, n’ont jamais fait défaut. Pour le répéter, la vraie accusation à porter contre les agences de notation, qui se pavanaient dans leur rôle de protecteur ultime des créanciers, est d’avoir totalement sous-estimé le risque porté par les banques avant la crise et d’avoir ainsi trompé les créanciers et les autorités, facilitant ainsi la décennie d’argent facile que nous avons connue. A côté de cette faute, leurs erreurs de modélisation des véhicules de titrisation sont peccadilles : sans financement facile, les banques n’auraient jamais racheté sur leur bilan les crédits ainsi titrisés et la crise des sub-primes n’aurait jamais provoqué une explosion du système bancaire d’une telle ampleur.

Une des solutions consiste à mettre en place un mécanisme quasi-automatique par lequel, en cas de crise de solvabilité, ce sont les créanciers (par ordre inverse de priorité) qui supportent le manque de fonds propres.

Dans un précédent billet (Aménager la dette des banques pour mieux les contrôler : à nouveau sur le capital contingent), nous présentions l’idée du capital contingent (ou « Cocos »), qui sont des obligations émises par les banques et qui sont automatiquement converties en actions si certains convenants sont touchés (par exemple ratio des fonds propres sur l’actif bancaire inférieur à x%).

Charles Goodhart, un des meilleurs économistes bancaires, est pourtant critique de cette proposition. Voir sa rubrique dans l’excellent blog Vox-EU : « Are CoCos from Cloud Cuckoo-Land? ». Il se méfie d’abord de la réaction de marché à l’approche du seuil de défaut (qui devrait être clairement observable par tous, ce qui pose d’ailleurs la question du choix de l’indicateur d’alerte ). Probablement, le titre se mettrait à chuter dangereusement, ce qui assècherait le financement des banques et pousseraient peut-être les porteurs de Cocos à shorter l’action pour se couvrir. De la même manière, le management pourrait se féliciter de cette façon commode et peu coûteuse de lever des fonds propres, ce qui ne le pousserait pas à plus de vigilance (sauf si on suit la piste de rémunérer les managers non seulement en stock options, mais en « bond options » ou « Cocos options », de façon à leur faire garder la tête froide).
Du coup, émerge une autre solution consistant à conserver le principe des Cocos, mais sans l’automaticité de la conversion.

En quelque sorte, la décision de conversion de l’obligation en action, et ses conditions précises, seraient à l’initiative plus ou moins complète du régulateur. Il n’y aurait pas un « bail-out » de la banque par des investisseurs externes (l’État), ce qu’on traduit en français par « renflouement », mais un « bail-in » par les créanciers déjà en place, à la discrétion du régulateur. Ce que je traduis hardiment par « enflouement », avec un clin d’œil vers les banques qui nous ont tous joyeusement floué lors de la crise financière.

Au fond, il y a peu de différence entre Cocos et enflouement sinon le mode de déclenchement. On retrouve le débat traditionnel en politique monétaire de savoir s’il faut procéder par des règles préétablies, telles des convenants connus de tous, ou par « discrétion » du régulateur. L’enflouement a sans doute le mérite de moins se prêter à une déstabilisation des marchés, le régulateur intervenant au « douzième coup de minuit », mais d’une horloge qu’il est le seul à porter.

L’enflouement fait quand même peser une épée de Damoclès sur l’investisseur obligataire, ce qui élèvera sans doute le coût de financement des banques, et en retour poussera les dits investisseurs à une meilleure surveillance de la gestion. Il ne donne pas non plus de solution à la crise de liquidité si elle advient ; ce qui laissera à la banque centrale son rôle de prêter en urgence à la banque fragilisée. Mais son avantage est qu’au moment même où la banque centrale fournira ces liquidités, elle forcera une recapitalisation de la banque dans les termes qu’elle demandera. Et la menace que la recapitalisation soit fortement dilutive exercera une vive pression préventive sur les actionnaires.

La clause d’enflouement devra être écrite en dur dans le contrat obligataire pour résister aux contre-attaques devant les tribunaux. Mais ainsi conçu, ce titre peut être un instrument attractif pour les investisseurs et une incitation générale à mieux capitaliser les banques et mieux surveiller les banquiers, une population dont on sait que plus elle est payée, plus elle se régale des risques qu’elle fait prendre aux autres.

1. On ne peut complètement exclure des phénomènes « systémiques » dans un défaut corporate, notamment par le canal du crédit inter-entreprise : le non-paiement des fournisseurs peut entraîner des défauts en cascade. Mais n’oublions jamais que les entreprises sont rarement endettées au-delà de 50% de la valeur de leurs actifs, alors qu’une banque, on l’a vu lors de la crise, peut atteindre des leviers de 97%.

2. Il y a aussi un problème de périodicité de publications, et donc de calendrier : les marchés sont ouverts de manière permanente quand les indicateurs sont publiés au mieux 4 fois par an, avec un décalage de quelques semaines.

3. Il y avait autrefois dans certains pays une clause de protection très efficace, qui est la double responsabilité des actionnaires, qui met la responsabilité limitée des actionnaires au double des fonds propres engagés. La France va même plus loin par les articles 56 et 57 de la Loi bancaire, qui pousse les actionnaires de référence à recapitaliser en cas de difficulté, mais cette règle n’est pas utilisable pour les grands groupes bancaires qui ont tous, même les groupes mutualistes, un capital très éclaté. Ces clauses ont disparu, on ne sait trop pourquoi.