Si le dividende ne rémunère pas les capitaux propres, qu’est-ce qui rémunère les capitaux propres ?
Ayant acheté une action 106 le lundi, qui a versé un dividende de 6 le mardi, je me retrouve le mardi soir avec une action qui vaut 100 et des liquidités pour 6, correspondantes au dividende touché, et un gain financier nul (106 – 100 – 6 = 0), même si juridiquement et fiscalement j’ai enregistré un dividende de 6. Ceci montre bien qu’il est abusif de dire que le dividende est la rémunération de l’actionnaire. En effet, quelle rémunération ai-je eue, puisque mon patrimoine est inchangé et que je n’ai fait aucune dépense ? Celui qui détient son action dans un PEA s’en rend aisément compte puisque la valeur de son PEA est naturellement inchangée suite au versement du dividende.
Le caractère fallacieux de cette assimilation du dividende à la rémunération des capitaux propres apparaît clairement d’un point de vue fiscal puisque l’investisseur est taxé sur les 6 de dividende perçus, comme s’il s’agissait d’un enrichissement pour lui alors qu’en fait il ne s’est enrichi de rien du tout.Qu’est-ce qui constitue alors la rémunération de l’actionnaire ? C’est la plus-value, mais une plus-value calculée non pas selon les critères juridiques et fiscaux habituels qui sont très prégnants, mais selon un critère financier simple, dans lequel tout dividende touché vient en diminution du prix de revient financier de l’action. Pour reprendre l’exemple initial, si le mercredi mon action monte à 102, j’aurais alors gagné 2, écart entre le cours de 102 et mon prix de revient de 100, lui-même résultant d’un prix d’achat initial de 106, minoré par la perception d’un dividende de 6.
On pourrait nous dire : Si j’achète l’action 1 000 le 1er janvier 2019 ; que la société réalise un résultat de 60 en 2019, que ce résultat est valorisé pour 60 par le marché et que donc l’action vaut 1 060 au 31 décembre 2019 ; qu’un dividende de 60 est versé le 1er janvier 2020, alors le dividende correspond bien à la rémunération des capitaux propres. Certes, mais si le dividende n’avait pas été versé, la plus-value pour l’actionnaire aurait été quand même de 1 060 – 1 000 = 60. C’est bien sa rémunération, même si le dividende est nul (comme cela est le cas dans le holding d’investissement de Warren Buffett, Berkshire Hathaway, qui n’a pas la réputation de mal rémunérer ses actionnaires et qui pourtant n’a jamais versé un dividende). Et si le dividende de 60 avait été versé, nous aurions aussi eu une plus-value financière de 60 (1 000 – 940) puisque notre prix de revient financier serait passé de 1 000 à 940, et que l’action, après versement du dividende de 60, vaudrait 1 000.
Si, maintenant, le marché n’avait traduit dans les cours qu’une partie de la création de valeur en valorisant l’action 1010, le versement d’un dividende de 60, réduisant le cours à 950, vous aurait fait croire à une rémunération de 60, alors que vous ne vous êtes enrichi que de 10 (950 + 60 – 1 000) correspondant à notre plus-value financière (950 – (1 000-60)).
De façon plus générale, la formule de calcul de la rentabilité d’une action sur un an, achetée V0, revendue V1, avec perception d’un dividende D1 dans l’intervalle, qui est de : (V1 – V0 + D1) / V0, est bien sûr juste, mais le dividende D1 ne joue pas le rôle qu’on lui prête le plus souvent, celui d’un revenu touché qui majore la plus-value. Il est vrai d’un point de vue fiscal et juridique, mais pas d’un point de vue financier. En fait pédagogiquement la formule devrait plutôt s’écrire ainsi : (V1 -(V0 – D1)) / V0, car le dividende est un correctif de la valeur initiale, un peu comme si on vous avait remboursé une partie de votre capital, puisqu’à travers le dividende, on vous attribue une partie des actifs (des liquidités) de l’entreprise.
Sur une durée supérieure à l’année, on calcule bien sûr le taux de rentabilité comme étant le TRI de la chronique des flux de l’action achetée et supposée revendue au terme de la période. Ce calcul intègre dividendes ET plus-values. Si nous avons mis en gras la conjonction « ET » dans l’expression « dividendes ET plus-values », c’est bien pour souligner le caractère indissociablement lié de ces deux paramètres dans leur acceptation courante, et de l’impossibilité qu’il y a à ne tenir compte que de l’un, le dividende, pour apprécier la rémunération de l’investisseur,puisque le versement de dividende crée automatiquement de la moins-value. D’où notre conception d’une plus-value financière développée plus haut, qui englobe les deux.
Cet article a été initialement publié dans la Lettre Vernimmen.net n°179 (mai 2020). Il est repris par Vox-Fi avec due autorisation.