Le verdict du procès Vivendi est en attente à New-York sur les plaintes de certains groupes d’actionnaires contre la gestion du management de Vivendi en 2002. Ce qui est reproché au management et à Vivendi (qui devra s’acquitter d’une grosse indemnité si reconnue coupable de sa gestion précédente), parmi six chefs d’accusation, c’est en particulier d’avoir opéré des rachats cachés d’actions sur le marché, ce qui aurait mis la société en péril et envoyé aux actionnaires une mauvaise information sur le cours boursier. Le directeur financier du groupe, Guillaume Hannezo, a présenté devant la cour une ligne de défense très fine, fine au sens de étroite : il doit d’un côté se désolidariser de son président Jean-Marie Messier et de ses décisions, d’où à sa décharge les mises en garde virulentes qu’il lui adressait au plus fort de la crise ; mais il doit en même temps expliquer que la crise d’endettement de Vivendi à l’époque n’était pas mortelle, autrement il lui aurait fallu en avertir les actionnaires ou le conseil d’administration, y compris par-dessus la tête de Messier, ce qu’il n’a pas fait.

 

Ce peut être l’occasion d’un commentaire sur les rachats d’actions. En temps normal, les entreprises rachètent leurs propres actions sous la forme de réduction programmée et annoncée de capital. C’est un mode assez courant, parfois favorisé fiscalement, de distribution de trésorerie, qui est alternatif à la distribution de dividendes. Il s’agit même d’un instrument plus souple que les dividendes : l’actionnaire qui ne veut pas de cash n’apporte pas ses actions à l’offre de rachat (et peut ainsi se « reluer » au capital, ce que fait couramment la famille Peugeot, via son holding de contrôle, pour accroître progressivement sa part du capital de PSA) ; celui qui en veut beaucoup apporte beaucoup d’actions. Comme pour les distributions de dividendes, le rachat d’actions change le levier d’endettement : moins de fonds propres, plus de dette (ou moins de trésorerie, ce qui est pareil). Cet effet de levier joue positivement sur le rendement des fonds propres (et sur le ROE) si le taux d’intérêt de la dette (ou de la trésorerie) est inférieur au rendement de l’action (ou à l’inverse de son PER, price-earnings ratio). On montre que cette condition est équivalente à dire que l’opération accroît le bénéfice par action (est « relutive »). Evidemment, la hausse du bénéfice par action s’accompagne d’une hausse de risque pour le détenteur d’action, et donc d’une baisse du PER. Au cas où vous n’auriez pas votre Vernimmen sous le bras, je renvoie à une petite annexe sur ce point. Selon les conditions propres à l’entreprise (niveau d’endettement initial, situation fiscale, volatilité de l’activité), l’effet baisse du PER l’emporte ou non sur l’effet hausse du bénéfice par action. Au final, je recommande une règle du pouce très simple, dite la règle de la momie1 ou de la neutralité de la structure financière, parce qu’elle s’applique dans la plupart des cas non extrêmes : en gros, racheter ses propres actions n’affecte pas le cours boursier.

 

Sauf que la situation de Vivendi à l’époque était extrême : un taux d’endettement à la limite du possible suite à une kyrielle d’acquisitions ; une rentabilité économique en chute libre (nous étions au début de la débâcle post-bulle Internet), un coût de l’endettement très fort (même si Vivendi procédait à ses rachats à partir de sa trésorerie, qui portait un taux d’intérêt moins élevé). L’opération pouvait donc risquer de mettre Vivendi en faillite et en tout état de cause détruisait de la valeur actionnariale. De sorte que les actionnaires consultés auraient très probablement empêché tout rachat d’actions ou distribution de dividendes. Comme l’écrivait Hannezo dans un mail interne à son président Messier, cela revenait à « dévorer sa propre chair ».

 

Intervient aussi une autre dimension du rachat d’actions ou de la distribution de dividendes, à savoir les effets d’annonce. Un des motifs habituels du rachat d’actions (ou de la distribution d’un fort dividende) est d’envoyer au marché le signal de la confiance du management dans les perspectives de la société, ce qui a pour effet de faire monter le cours boursier. Cette hausse n’est que temporaire si elle n’est pas vérifiée par les fondamentaux de l’entreprise. Dans le cas de Vivendi, il y a bien eu annonce par le management de la distribution d’un dividende (qui n’est jamais venu et qu’il était impossible de satisfaire). Mais pour le reste, il ne se serait agi que d’un rachat subreptice, par intervention sur le marché à partir de la trésorerie de Vivendi. L’impact sur le cours boursier passerait alors par la création artificielle d’un courant acheteur sur le titre.

 

Dans l’attente du verdict du tribunal, on ne peut que faire des suppositions sur les motifs de cette conduite.

 

Très probablement, Vivendi escomptait la fin de la chute des marchés action et de la crise post-Internet. Faisant ce pari, le management pouvait chercher à le faire partager par le marché en rachetant des actions et en faisant monter le cours boursier. L’analogie est l’automobiliste qui double en côte et qui, se retrouvant nez-à-nez avec une voiture venant en sens inverse, accélère plutôt que de freiner pour l’éviter. Il est clair qu’une conduite plus prudente aurait dû conduire à ne pas doubler en côte, c’est-à-dire à stopper le flux continu des acquisitions de Vivendi.

 

La hausse de cours est toujours un signal de bonne santé financière. Ce signal positif pouvait faciliter une éventuelle augmentation de capital, un recours à coût moindre à la dette ou des rachats de sociétés payés sur la base d’un cours plus élevé.

 

Verdict attendu pour 2010.

 

François Meunier

 

1. Momie pour Modigliani-Miller.