Christian Noyer fait une remarque bien intéressante dans sa présentation du Rapport annuel 2010 de l’Autorité de contrôle prudentiel. Il écrit : « Le secteur de l’immobilier, notamment résidentiel, appelle l’attention, dans la mesure où il a connu une forte hausse des prix, à laquelle, au-delà des déséquilibres entre l’offre et la demande de logements, des taux de crédit particulièrement bas ne sont pas étrangers. »

 

En clair, le superviseur français s’inquiète (légitimement) de la hausse immobilière, souhaite des taux d’intérêt plus élevés, mais faute de pouvoir commander les taux de la BCE (aujourd’hui 1,25 % pour le taux de refinancement des banques), il appelle les banques à ajuster à la hausse leurs propres taux, c’est-à-dire leurs marges.

 

C’est un pis-aller qui, de plus, ne joue pas vraiment dans le sens de la nécessaire concurrence entre banques pour assurer les taux les plus bas (à coût de refinancement donné).

 

Il est bon qu’il y ait une politique monétaire unique au niveau de la zone euro. Mais on va trop loin quand on prive les autorités nationales des moyens de réguler plus finement les taux qui s’appliquent dans leur pays quand se manifeste un risque de bulle. Ici, l’immobilier français reste très vigoureux, avec un risque de bulle, notamment en Région parisienne. La Banque de France doit avoir les moyens de cibler spécifiquement le crédit immobilier, en frappant le coût de financement des banques sur ce segment, et sans avoir besoin d’appeler à une sorte de collusion pour maintenir des marges élevées.

 

Un tel instrument existe. Il s’agit des réserves obligatoires. Il suffirait d’indiquer que tout euro de crédit immobilier accordé par une banque résidente à un résident est frappé d’une mise en réserve non rémunérée auprès de la Banque de France. Le coût du crédit s’en verrait relevé, sans pour autant qu’il soit porté atteinte à la politique de taux interbancaire unique au niveau de la zone euro.

 

Evidemment cela va à l’encontre d’une certaine idée de la politique monétaire, comme celle que rappelle par exemple Jürgen Stark, un des membres du directoire de la BCE, dans une tribune récente au FT. Il dit : « Dans une union monétaire, quand la banque centrale fixe les taux d’intérêt, elle ne peut pas faire autrement que d’avoir une vision d’ensemble de la zone. Cela s’applique à toute banque centrale. Voyez la Réserve fédérale : elle ne peut pas ajuster son taux d’intérêt aux conditions économique spécifiques du (…) Texas ou de la Californie. »

 

C’est vrai et c’est faux à la fois. Les règles prudentielles mises en place au titre de Bâle 3 prévoient des charges en capital variables selon la position dans le cycle économique des banques de tel ou tel pays. Ce qui veut dire qu’on fait jouer au prudentiel un rôle de régulation conjoncturelle intrazone, ce qui d’ailleurs n’est pas, à proprement parler, le rôle de la supervision prudentielle. D’autant qu’il faut douter de la finesse d’un mécanisme contracyclique automatique.

 

Pourquoi ne pas rendre ce rôle de réglage conjoncturel à la politique monétaire nationale, et cela de façon discrétionnaire, au vu d’un rythme de progression des crédits à tel secteur de l’économie ou au vu de la flambée de tel prix d’actif, financier ou immobilier ? (On rappelle qu’un coefficient de réserve obligatoire a des effets identiques sur le coût de financement des banques à une hausse des fonds propres requis.) On pourrait parallèlement créer des règles limitatives empêchant que cette politique spécifique s’écarte trop de la règle européenne, ou qu’elle ne puisse être appliquée au-delà d’une certaine durée ou bien à la totalité de l’économie nationale.

 

Un peu de souplesse, enfin ! La zone euro est un succès d’ampleur historique. Mais il faut bien reconnaître qu’elle n’a pas su, à ce jour, jouer dans le sens d’une convergence des économies qui la compose. Au contraire, la monnaie unique a généré des tendances asymétriques, sur les prix, sur les balances des paiements, qui provoquent les déséquilibres que nous subissons actuellement. Il faut donner quelques degrés de liberté à l’outil monétaire pour réduire les disparités qui peuvent naître ici ou là.