L’Institut Montaigne a publié en novembre 2022 un rapport, rédigé par Gilles Babinet et Olivier Coste, qui montre que la pandémie a révélé la dépendance de l’Europe à l’égard de l’Asie sur le marché des semi-conducteurs, et qui explique les raisons du retard du développement numérique de l’Europe face aux États-Unis et à la Chine. Pour les auteurs, ce retard est principalement dû à la rivalité entre les États-Unis et la Chine dans plusieurs secteurs-clé des hautes technologies. La Chine entend notamment rattraper son retard sur les États-Unis dans ces domaines et n’a pas caché son ambition de devenir le leader mondial de l’Intelligence Artificielle à l’horizon 2050. Selon le rapport de l’Institut Montaigne, le retard européen n’a cependant rien d’inéluctable.

Entre 2005 et 2021, la part des États-Unis dans la R&D mondiale de la Tech a été portée de 54 % à 62 % et celle de la Chine de 2 % à 15 %, tandis que celle de l’Europe n’a cessé de reculer. La part de la R&D allemande a ainsi été ramenée de 8 % à 2 % et la part française de 6 % à 2 %. En 2021, l’Union Européenne investissait cinq fois moins en R&D privée dans la Tech que les États-Unis (200 Md€ contre 40), et 30 % moins que la Chine (64 Md€). Ces écarts risquent de se creuser, car le gouvernement américain a érigé en priorité nationale l’implantation de nouvelles usines de semi-conducteurs, et a fait adopter le CHIPS and Science Act visant à consolider le leadership des États-Unis dans ce domaine. Cette loi octroie en effet 280 milliards de dollars à l’industrie américaine de la Tech pour contrer la Chine, dont 52,7 milliards de dollars pour les seuls semi-conducteurs.

Les groupes privés qui investissent le plus dans la R&D high tech sont pour la plupart américaines et asiatiques, avec, dans l’ordre, Alphabet (Google) et Microsoft, Huawei, Samsung Electronics, Apple, Facebook et Intel. Ils assurent à eux seuls les trois quarts des 200 Md€ d’investissement mondial en R&D numérique. Les groupes européens, Nokia et SAP, se retrouvent en 14e et 16e positions, avant Ericsson à la 19e place.

L’investissement européen dans les start-ups est trois fois inférieur à celui des États-Unis où il s’élève à 320 Md$ en 2021. Selon l’enquête AI Act Impact Survey, la plupart des sociétés de capital-risque s’attendent à ce que la nouvelle réglementation européenne sur l’IA pèse sur la compétitivité des startups. En 2021, la France assure trois fois moins d’investissement dans la Tech que le Royaume Uni. Elle arrive en 3ème position des pays européens ayant levé le plus de fonds (11,3 Md€) derrière l’Allemagne (16,3 Md€) et le Royaume-Uni (32,2 Md€). En terme de capitalisations boursières (à la fin de 2021), les start’up françaises de la Tech, avec 16 licornes, étaient valorisées à 89 Md€, contre 245 Md€ et 22 licornes pour les start’up anglaises.

Selon l’Institut Montaigne, ce retard serait principalement dû à « une culture européenne plus réticente à la prise de risque, à la fragmentation du marché européen, à des capitaux insuffisants, à une réglementation nuisible à l’innovation, à une politique de la concurrence fragilisant les champions européens en bloquant les fusions et en limitant les aides publiques ». Les surcoûts de restructuration des équipes de R&D seraient également un facteur dissuasif.

L’année 2022 marque cependant un tournant dans l’histoire de la french Tech, puisque les fonds levés par les start’up françaises ont atteint 13,5 Md  en 2022 (avec 735 opérations), contre 11,6 en 2021, dépassant les start’up allemandes (10,2 Md€), mais encore loin derrière les start’up anglaises (27, 5 Md€). Ces investissements se répartissent entre les services internet, les logiciels et services informatiques, la fintech, la cleantech et les life sciences. Les logiciels pour les entreprises (SaaS) et les projets en faveur des transitions énergétique et écologique, ont le plus fortement progressé. Les sociétés de capital-risque ont moins investi. Une nouvelle ère d’investissements plus sobres et ciblés dans la Tech européenne semble s’être ainsi ouverte.

 

Cet article a été initialement publié sur Vox-Fi le 23 janvier 2023.