La nouvelle application ChatGPT développée par la start-up Open AI, adossée aux bases de données de Microsoft, vient bouleverser les pratiques des rédacteurs, des créateurs et des chercheurs. Elle marquerait le passage d’une « IA analytique », dédiée à l’analyse des données et à la création de modèles, à une « IA générative », apte à rédiger des textes et à créer des images et des sons sans intervention humaine. Depuis novembre 2022, la reconnaissance des performances du logiciel par plusieurs experts, la valorisation à plus de 29 Md€ d’Open AI et l’annonce par le groupe Microsoft d’un investissement de 9,3 Md€ destiné à améliorer sa suite bureautique, ont contribué à engendrer de nouvelles « peurs » au sein des communautés de rédacteurs, de créateurs et de chercheurs menacés par l’IA générative.

L’apparition brutale de ChatGPT ressemble à celle des applications hébergées sur les premiers smartphones. L’IA générative présente l’avantage de traitements généralement fiables, rapides et peu couteux ; ses logiciels sont aisément accessibles sur le site https//chat.openai.fr. Mais elle comporte encore certaines limites : elle maîtrise mal le langage naturel et elle ne traite que des questions relativement simples destinées aux débutants et au grand public. Elle ne semble pas encore au point pour la création automatique d’images et la simulation de voix dans des films ou des podcasts. Par sa capacité à générer des emails malveillants, elle engendrerait selon le cabinet Checkpoint research, de nouveaux risques sur la sécurité des systèmes et des données sur les personnes. Elle soulève par ailleurs des questionnements sur les droits d’auteur et la protection des données personnelles. Elle semble surtout menacer les fonctions élémentaires de nombreux métiers : journalistes, écrivains, publicitaires, architectes, développeurs de logiciels, créateurs de jeux vidéo, enseignants, chercheurs… À l’instar de la révolution de la robotique, certaines fonctions pourraient être ainsi complètement remplacées par l’IA générative, tandis que d’autres seraient susceptibles de prospérer grâce au binôme phygital « être humain/machine[1] ».

Ainsi, les homo academicus décrits par Bourdieu seront contraints de se renouveler en évitant les exercices à distance (bien que les cours soient eux mêmes de plus en plus donnés en distanciel), et en multipliant les épreuves orales, les analyses de dossiers, les études de cas et les « devoirs sur tables » (jugés « chronophages »). Les doctorants et les chercheurs seront pour leur part contraints à plus d’originalité et d’exigence pour être publiés dans les revues scientifiques les plus prestigieuses.

Il semble donc que l’émergence de l’IA générative soit une forme d’innovation de rupture au sens de Schumpeter.

 

[1] D.Bonnet et J-J.Pluchart, Intelligence Artificielle et Intelligence Humaine, Eska, 2022.

 

Cet article a été publié sur Vox-Fi le 26 janvier 2023.