Luc Ferry, Les sept écologies. Pour une alternative au catastrophisme antimoderne, Éditions de l’Observatoire, 273 pages.

Le dernier livre de Luc Ferry vient opportunément répondre aux questions que se posent les français sur l’écologie politique, après la conquête de plusieurs grandes villes de France par la « vague verte ». Le philosophe dépasse le clivage traditionnel entre deeps (révolutionnaires) et shallows (réformistes), en distinguant sept courants au sein du mouvement écologiste. Le premier réunit les collapsologues ou effondristes, qui prédisent une fin du monde imminente. Le second baptisé alarmiste révolutionnaire prône une décroissance économique et un retour à la low tech. Le troisième est également alarmiste mais plutôt réformiste, en défendant un développement durable et responsable. Les trois autres courants sont plus ciblés. Ils recouvrent les décoloniaux qui abattent les statues des conquistadores, les écoféministes, qui luttent contre l’oppression des femmes et de la nature, et les veganes, qui militent notamment contre la souffrance animale. Luc Ferry affiche sa préférence pour un écomodernisme, basé sur l’économie circulaire et le recyclage. Il semble considérer que l’innovation technologique et l’économie de marché ne sont pas incompatibles avec la préservation du genre humain et de la planète. Mais il s’oppose à la « modernité productiviste et technicienne ». L’ouvrage a le mérite de démontrer que l’écologie comble le vide laissé par les effondrements du communisme et de la religion. Il soulève, dans un style clair, érudit et élégant, les questionnements à la fois idéologiques, technologiques et politiques, qui animent actuellement – dans une certaine confusion – les débats entre les partis politiques.

Luc Ferry est philosophe, ancien ministre et auteur à succès.

 

Lire aussi : Chronique des livres de janvier 2021

 

Christophe Guilly, No-society, Flammarion (réédition).

L’auteur montre que depuis les années 1980, les classes moyennes disparaissent progressivement dans la plupart des pays occidentaux. De « nouveaux clivages sociaux, culturels et territoriaux » se substituent à l’ordre ancien, marqué par la coexistence de classes dominantes, intermédiaires et populaires. Les élites du « 1 % supérieur » font désormais face à des mouvements populistes plus ou moins récupérés par les partis politiques extrémistes. Les premiers sortent des meilleures écoles et universités tandis que les seconds enchaînent les formations plus ou moins qualifiantes. Les premiers se réclament d’un certain multiculturalisme, tandis que les seconds se communautarisent. Les premiers résident au cœur des métropoles tandis que les seconds peuplent les banlieues. L’immobilier des grandes villes s’apprécie tandis que celui des périphéries se déprécie. Les revenus des premiers s’envolent tandis que les salaires des seconds stagnent ou régressent. Le territoire se « citadélise et s’ethnicise ». Les politiques de redistribution et de « mixisation sociale» ne parviennent pas à réduire la fracture sociale.

L’auteur constate que les discours politiques et les études économiques s’efforcent de masquer cette réalité en soulignant la vigueur de l‘innovation, la résilience de la croissance, le recul du chômage… , tout en occultant la dégradation des niveaux de vie, le creusement des dettes, la flexibilisation des emplois… Il retrace les étapes de la précarisation des classes moyennes et populaires : les ouvriers (frappés par la désindustrialisation), les employés (par la digitalisation), les cadres (par la mondialisation), les jeunes et bientôt, les retraités.

Christophe Guilly conclut en prédisant le passage irrémédiable de « la société et l’a-société ».

 

Laurent Izard, À la sueur de ton front, Éditions L’Artilleur, 428 pages.

Laurent Izard traite un sujet actuellement très débattu mais inépuisable, portant sur les conséquences de la mondialisation sur le travail en Europe et plus particulièrement en France. Il retrace la montée de la « souffrance au travail » dans ses multiples dimensions : maladies professionnelles, troubles psychologiques, harcèlement, épuisement, mal-être, suicides… Cette souffrance est engendrée par de multiples facteurs déqualification et précarisation des emplois, peur du chômage, course à la productivité, stagnation des salaires…qui sont eux-mêmes imputables aux délocalisations d’activités, à la globalisation des échanges, à l’automatisation de certaines tâches, à l’e-commerce… L’auteur rappelle les théories économiques et les politiques publiques destinées à lutter contre le chômage et à relocaliser certaines industries, et il constate qu’elles sont toutes restées sans effets. Il critique les statistiques officielles sur le chômage, souvent limitées à des décomptes des actifs privés d’emplois (catégorie A). Il montre qu’au-delà de ce noyau dur, se développe un « halo » de non-inscrits à Pôle emploi et d’emplois précaires, qui conduit à limiter à moins de vingt millions les actifs satisfaits de leur travail (soit moins d’un tiers de la population française). Il estime que l’extension du télétravail va détruire en partie « l’écosystème de proximité des bureaux », constitué de commerces et de prestataires des services.

L’auteur considère que le travail doit respecter les rythmes biologiques et la vie familiale, qu’il doit contribuer à la vie sociale et donner un sens à la vie professionnelle et personnelle. Pour y parvenir, il préconise de « réinventer la mondialisation », en restaurant une souveraineté nationale en partie perdue, dans la mesure où, dans de nombreux secteurs d’activité, les entreprises ou leurs ressources sont contrôlées par des intérêts étrangers et où les deux tiers de la dette publique ne sont pas souscrits par des épargnants français. Il propose de mettre en place un « nouvelles souveraineté » et un « protectionnisme ciblé », en étant conscient que leur application exigerait une révision des traités européens et certains sacrifices de la part des consommateurs.

Les analyses sont logiques, solidement documentées et illustrées d’exemples concrets, ce qui rend la démonstration de l’auteur à la fois éclairante et convaincante.

Laurent Izard est enseignant-chercheur à l’Université Paris I.

 

 

Du même auteur : Les politiques des dividendes des entreprises françaises

au cours de la période de crise sanitaire

 

 

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