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D’abord, la concurrence pour l’obtention des titres provient également d’une sous-évaluation au moment de l’introduction. Cette sous-évaluation, mesurée par la performance au premier jour de cotation, est beaucoup plus faible pour les titres obligataires que pour les actions nouvellement introduites : de l’ordre de 40 points de base pour les obligations d’entreprises américaines (sur la période de l’étude, 2002 à 2014) contre environ 10 % pour les actions introduites. Toutefois, compte tenu du montant énorme des émissions obligataires (près de quatre fois celui des émissions d’actions, introductions en Bourse et augmentation de capital incluses), cette sous-évaluation apporte aux investisseurs qui en bénéficient un profit très élevé. Sur la période étudiée, les auteurs estiment le profit agrégé obtenu par les bénéficiaires de l’allocation d’obligations à plus de 40 Md$.

Pour étudier les critères d’allocation, les auteurs ont utilisé des données provenant de publications réglementées des compagnies d’assurances américaines auprès du National Association of Insurance Commissioners (NAIC), l’organisme américain de normalisation des compagnies d’assurance. L’avantage de cette source est de fournir des données détaillées sur les acquisitions d’obligations, avec en particulier la date et le prix payé, permettant d’établir s’il s’agit ou non d’une attribution sur le marché primaire.

L’analyse montre les deux mêmes effets que pour les introductions en Bourse. Premièrement, les assureurs qui bénéficient d’une expertise dans les obligations de même nature que celles émises se voient allouer davantage de titres que les autres. Il s’agit là de l’effet informationnel : ces assureurs font bénéficier la banque placeuse de leur expertise pour la fixation du prix et la bonne fin de l’opération. En retour, la banque les favorise dans son allocation.
Deuxièmement, les assureurs qui affichent un volume de transactions élevé avec la banque placeuse l’année précédant l’émission se voient attribuer davantage de titres. La banque semble donc favoriser les investisseurs avec lesquels elle entretient des relations de long terme. En termes économiques, cet effet est beaucoup plus fort que le premier : un écart-type de volume de transactions entre l’assureur et la banque se traduit par 800 000 $ de profit supplémentaire pour l’investisseur (5 fois plus que l’effet informationnel).
Dans le cas des introductions en Bourse, l’effet des relations de long terme était là aussi supérieur à l’effet informationnel. Mais les auteurs remarquent tout de même que l’effet informationnel, bien qu’identifiable, est particulièrement faible sur les marchés obligataires. Ils attribuent cela au fait que la presque totalité des émissions (96 % de leur échantillon) provient d’émetteurs d’obligations réguliers, et que dans la majorité des cas (72 %) il s’agit d’entreprises cotées. Les asymétries d’information sont donc forcément plus faibles que pour une introduction en Bourse.

Qu’il s’agisse des émissions d’actions ou d’obligations, le marché primaire permet aux investisseurs de réaliser de bonnes affaires ponctuelles. La compétition entre les institutionnels pour se voir attribuer les plus gros volumes est élevée.

Cet article, en complément de celui sur les introductions en Bourse, montre que les banques choisissent le plus souvent d’allouer des titres aux investisseurs avec lesquels elles réalisent, par ailleurs, un volume d’affaires important.

 

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Cet article a été initialement publié dans La Lettre Vernimmen.net n°181 de juillet 2019. Il est repris par Vox-Fi avec due autorisation. Il a été publié sur Vox-Fi le 10 septembre 2020.