La complexité des problèmes auxquels sont confrontées les organisations implique de faire appel aux connaissances à la fois explicites et implicites qui constituent l’essentiel de leur patrimoine immatériel. Mais les praticiens et les théoriciens du management concentrent actuellement leurs réflexions sur la gestion des données explicites alors que les trois quarts des données utiles à l’entreprise sont implicites, c’est-à-dire non identifiées, vérifiées, codifiées et stockées. Les savoirs non tracés et formalisés sont détenus par des praticiens internes et par des experts externes, dont les compétences et l’expérience sont essentielles au management des entreprises. Cette carence expose notamment les PME-PMI à des risques de perte de connaissances et de compétences, en raison de la mobilité croissante du personnel, de l’intensification des départs en retraite et de l’instabilité des parties prenantes.

Le recueil et la traduction des savoirs implicites relèvent de la gestion des connaissances ou knowledge management. Mais la recherche et la formalisation de ces données mobilise des méthodes qui diffèrent selon les natures des savoirs implicites : individuel ou collectif, générique ou immédiatement praticable, simple ou complexe, codifiable ou non… (Kogut et Zender, 1992). La plupart des entreprises font appel à des techniques de transmission dans le cadre de processus d’apprentissage ou d’accompagnement de jeunes recrues, d’apprentis ou de stagiaires, par des cadres ou techniciens expérimentés. Le transfert de compétences peut également être réalisé par des acteurs intégrés dans le cadre de projets stratégiques ou opérationnels, qui comportent des phases de reporting ou de feed back destinées à restituer des expériences et à formaliser des pratiques. Dans le cas de savoirs relevant de l’expertise ou de secrets d’affaires, l’entreprise fait généralement appel à des cabinets de conseil ou à des laboratoires universitaires. Nonaka (1994) distingue ainsi quatre méthodes de production de données à partir de savoirs plus ou moins implicites : les revues des guides pratiques et des témoignages, les entretiens plus ou moins dirigés avec les praticiens, les observations participantes de leurs comportements en situation, les recherches-interventions impliquant les enquêteurs et les acteurs opérationnels dans le cadre de projets. Il conseille d’intégrer connaissances explicites et compétences implicites dans des schémas logiques et des bases partagées de données. Girin (2000) distingue quatre niveaux de complexité des données implicites à collecter, selon leurs interactions (complexité cartographique), leurs contextes, leurs cadrages et leurs « agencements ». Il recommande de gérer les relations entre agents par des « mandats » associant des hommes, des objets, des documents, des symboles…, selon des « agencements organisationnels », définis comme des unités d’analyse pertinentes des données explicites et implicites. Il prétend que le problème pour une organisation est moins de gérer des savoirs que de mesurer son ignorance.

Les réflexions précédentes montrent que la gestion des données implicites des entreprises est parvenue à un stade encore insuffisamment avancé pour assurer l’efficience de leur management.

 

Pour aller plus loin :

Girin J. (1995), « Les agencements organisationnels », in Charue-Duboc F., Des savoirs en action, L’harmattan.

Kogut, B., & Zander, U. (1992). Knowledge of the firm, combinative capabilities, and the replication of technology. Organization Science, 3(3), 383–397. https://doi.org/10.1287/orsc.3.3.383

Nonaka I. (1994), A Dynamic Theory of Organizational Knowledge Creation, Organization Science, Vol. 5, No. 1, pp. 14-37.